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Donc se souvenant qu’il est poète, il conçut un rêve magnifique irréalisable peut-être. Effacer l’antique rancune, réconcilier Chinois et Tartares, et, pour cela, conquérir à ses idées l’empereur qui règne à Pékin, de concert avec lui, doucement, sans secousses, réformer la Chine, sinon le monde… L’action suivant de près le projet, K’ang-Yeou-Wei quitta Canton et ouvrit une école à Pékin, en 1889.

Des rumeurs, mais combien confuses, étaient venues jusqu’à lui, sur la personnalité de cet empereur inconnu de tous, gardé en tutelle, comme prisonnier au fond de ses palais. On le croyait lettré, bienveillant, curieux des choses nouvelles. Mais des bruits contraires le disaient faible d’esprit, débile de corps, livré à tous les excès et incapable de gouverner. K’ang-Yeou-Wei ne voulut croire qu’à la version favorable. Il savait ce que valaient les ministres, favoris de l’impératrice régente et maîtres avec elle du pouvoir ; il plaignait l’impérial opprimé ; tout son cœur allait vers lui, puisqu’il était malheureux. Mais comment l’atteindre, à travers ses quadruples murailles ?… à travers tant d’obstacles dressés par les préjugés, plus impénétrables encore que les pierres ?… comment parvenir à éveiller l’attention de la mélancolique idole ?

L’illustre réformateur avait la foi d’un apôtre et il tenta l’impossible. Il rédigea, pour l’empereur, un exposé des réformes qu’il jugeait nécessaires. Mais cela n’était rien, le problème insoluble était de faire lire ce mémoire à l’inaccessible souverain. Grâce à ses hautes relations K’ang-Yeou-Wei put faire parvenir l’écrit jusqu’aux membres du conseil privé, qui le retint et ne le prit même pas au sérieux. On le renvoya en traitant l’auteur de fou et d’ivrogne.

L’apôtre ne se rebuta pas, il chercha d’autres voies plus secrètes ; toujours en vain.

Pendant dix années, sans se lasser, il renouvela sa tentative, et, enfin, un des disciples nouveaux qu’il avait gagnés à sa cause, parvint, en 1898, à placer sous les yeux de l’empereur le mémoire tant de fois rebuté ! Quelle poignante émotion pour l’auguste solitaire, dont l’esprit, dans la douloureuse inaction avait dû échafauder tant de rêves, quand il lut la proclamation ardente de tous ces droits nouveaux, l’appel enthousiaste à la justice d’un cœur désintéressé !… Ces idées