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bien près de la victoire et d’extraordinaires événements bouleversèrent l’Empire.

Il y a une quarantaine d’années, entre autres, les révoltés, victorieux, proclamèrent à Nanking un empereur de race chinoise, un rejeton de la dynastie des Mings, et l’on désigna son règne sous le nom de Taï-Ping-Tien-Ko : Empire de la Grande Paix Céleste. Cet empereur régna, concurremment avec le gouvernement de Pékin, pendant dix-sept ans !

Après une guerre acharnée, les Chinois furent vaincus, et les vainqueurs voulurent effacer tout de ce règne. Voici, néanmoins, des passages d’un volumineux rapport du général Tsen-Kouen-Wei à son empereur tartare.

Quand les Taï-Ping commencèrent la révolution dans la province de Kouang-tong, dit-il, ils s’étaient emparés de seize provinces et de six cents villes.

Leur coupable chef et ses criminels amis s’étaient rendus formidables. Tous leurs généraux, établis dans différentes places, s’y fortifiaient solidement. C’est seulement après trois années de siège que nous fûmes maîtres de Nanking. En ce moment, l’armée comptait cent mille hommes et plus. Mais pas un seul ne s’est rendu. Dès qu’ils se jugèrent perdus, ils mirent le feu au palais et se brûlèrent tous. Beaucoup de femmes se pendirent, s’étranglèrent, ou se jetèrent dans les lacs.

Je parvins cependant à faire prisonnière une jeune fille et je la pressai de me dire où était leur empereur.

— Il est mort, dit-elle, vaincu, il s’est empoisonné ; mais aussitôt après, on a proclamé empereur son fils : Hon-Fo-Tsen.

— Est-ce bien la vérité ? demandai-je. Alors elle me montra le tombeau : je donnai l’ordre de le briser et l’on trouva en effet l’empereur, enveloppé dans un linceul de soie jaune, brodé de dragons. Il était vieux, chauve, avec une moustache blanche. Son cadavre fut emporté pour être brûlé et jeté au vent.

Nos soldats détruisirent tout ce qui restait dans la ville, et il y eut trois jours et trois nuits de tueries et de pillage.

Nous ne pûmes amener à se soumettre aucun des soldats ennemis, et une troupe de quelques milliers d’hommes, très bien armés, ayant revêtu les costumes de nos morts, réussirent à sortir de la ville ; il est à craindre que leur nouvel empereur ait pu s’échapper avec eux.

Ce récit malgré sa brièveté et sa sécheresse laisse entrevoir, entre les flammes et le sang, une épopée magnifique.