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On ne se souvient pas assez qu’au fond du cœur de tout Chinois saigne et lancine une blessure mal cicatrisée. C’est là un secret amer et brûlant, que tous savent et dont on ne parle pas. Il expliquerait, cependant, bien des anomalies dont l’Europe parfois s’étonne ; il donnerait le mot, peut-être, de l’étrange stagnation où le grand peuple de Chine s’est si longtemps attardé.

Il y a trois cents ans, l’Empire fut conquis par les Tartares Mandchous ; le dernier souverain de la dynastie des Mings se pendit dans la Ville Rouge, à un arbre, qui porte encore des chaînes pour avoir prêté ses branches à cet impérial suicide. Les vaincus se virent contraints à changer de costume, à modifier leur coiffure. Ils durent couper leurs longs cheveux, qu’ils laissaient épars dans les batailles, se raser la moitié du crâne, pour ne conserver, à la mode tartare, que cette longue natte que nous trouvons singulière et qui, étant pour eux le signe de la servitude, n’a jamais cessé de les humilier. Combien de têtes, qui n’ont pas voulu subir l’outrage, sont tombées autrefois ! Combien de héros obscurs qui, ayant à choisir entre le rasoir et le sabre, se sont livrés au bourreau ! On n’ose pas en dire le nombre : il se chiffre par centaines de mille !… Aussi la blessure est-elle inguérissable. Les Chinois d’aujourd’hui sont domptés plutôt que soumis. Même ceux qui, ayant accepté des fonctions officielles, servent, loyaux et fidèles, le gouvernement, même ceux-là subissent, sourdement, la piqûre de cette plaie vive, la rougeur de cette honte.

Aussi, depuis trois cents ans, en Chine, la révolution couve sans cesse ; le feu éclate en incendie, ici ou là ; éteint dans une province, il se rallume dans une autre. Mais la Chine est trop immense pour que les révoltés puissent s’entendre. S’ils s’étaient jamais réunis dans un effort collectif, ils auraient depuis longtemps brisé leurs chaînes : au milieu de ce peuple de 350 à 400 millions d’hommes, les conquérants sont à peine un contre mille ! Plusieurs fois pourtant les Chinois furent