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du temple, leurs chevaux, blancs comme le lait, sont tenus en main par des soldats.

La belle allure et l’aspect martial des hommes de l’escorte ne retiennent pas l’attention de celui qui regarde : un palanquin, drapé de soies jaunes sur lesquelles sont brodés des dragons, attend devant le portique du sanctuaire. Ce palanquin est gardé par six eunuques en grand costume, et par seize porteurs, qui demeurent à leur poste, l’air recueilli, les yeux baissés. L’Empereur est là ! Ce mystérieux Fils du Ciel, cloîtré au fond de ses palais, invisible, silencieux, captif, peut-être, il est là, prosterné sous cette coupole jalouse, offrant les débris de son cœur, au Ciel sourd, au Ciel injuste. Tout à l’heure il apparaîtra sur le fond sombre du portique ; il traversera le parvis, descendra quelques marches jusqu’à son palanquin, et l’étranger attentif pourra, en cette minute précieuse, graver à jamais dans sa mémoire la vision surprise ! Ce n’est pas une curiosité banale qui l’attire, mais une sympathie respectueuse qui pressent et s’apitoie.

Voici enfin que, tout chamarrés de broderie et d’or, sortent du temple les conseillers, les ministres, les princes du sang qui resplendissent au soleil. Ils se rangent et font la haie ; ils s’inclinent, et, après un instant d’attente, seul, lentement, l’Empereur s’avance, mince, élancé, très pâle, des yeux graves, dont le regard ne se pose sur personne, le visage allongé, la bouche sérieuse. Malgré la simplicité sévère de son costume, — sur une robe couleur de cuivre sombre, une veste d’un bleu presque noir, — il est tellement imposant, d’une si suprême majesté, qu’il semble vraiment d’une autre essence que le commun des hommes, et que tous les princes et les mandarins de sa suite, rutilants de satin et d’or, deviennent, tout à coup, vulgaires à côté de lui.

Le cortège se reforme, la vision disparaît ; les stores de soie jaune du palais se sont refermés ; on jette des pelletées de sable devant les pas des porteurs ; les princes du sang remontent sur leurs chevaux, harnachés en velours violet, tandis que les gardes, hâtivement, enfourchent leurs chevaux blancs. En bon ordre, gardant le plus profond silence, toute cette foule s’éloigne, retourne au cœur de Pékin, à la Ville Rouge, la ville défendue.