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Charles une lettre fort aimable : il répète beaucoup ma pauvre patrie, ma pauvre France, et déclare ne pas être du tout décidé à reconnaître les gredins de Paris. Raison de plus pour se tenir tranquille. S’il reste à Metz jusqu’à la paix, il met une armée à la disposition du nouveau régime, et devient, par ce fait, un personnage indispensable[1]

Malgré toutes les souffrances endurées, la résistance des Français se prolonge ; elle finit par exciter l’admiration des Allemands eux-mêmes :

Cette résistance est admirable. Huit semaines de mauvaise nourriture, des bivouacs sans paille dans un pied de boue, des combats ! J’en arrive à me demander si nos hommes en auraient fait autant[2].

Enfin, le drame s’achève : Metz capitule. La IIe armée, désormais disponible, va se porter à marches forcées vers la Loire, contre les armées improvisées par le gouvernement de la Défense nationale. Avant de quitter Metz, Kretschman a un dernier souvenir pour les vaincus.

Ils ont fait plus que l’on ne pouvait attendre même des troupes les plus braves. L’armée a supporté sans faiblesse les plus terribles privations. S’ils avaient eu à leur tête un chef tant soit peu intelligent, les Français se seraient frayé un passage à travers nos lignes. Au lieu de cela, ils ont tiré le canon tous les jours, sans faire la moindre impression. Ils ont conduit leurs femmes sur les remparts pour leur montrer un semblant de guerre — et rien de plus[3] !

Le 29 octobre, Kretschman assiste à la reddition :

La journée d’aujourd’hui restera la plus grande de la campagne, une des plus grandes peut-être de l’histoire du monde ; elle a été pourtant profondément triste. Il pleuvait à torrents. Un peintre aurait appris à connaître toutes les nuances de la douleur et du désespoir. Le premier chef de corps, — un beau colonel, — me remit son rapport d’un air digne : pas un muscle de son visage ne bougea. Pourtant, de temps en temps, une larme tombait de ses yeux au regard fixe ; ses hommes prirent congé de lui en sanglotant. L’attachement des soldats pour leurs officiers était impressionnant ; ils leur embrassaient les mains. Un capitaine d’artillerie restera inoubliable pour moi, tant que je vivrai. Il chancelait sur son

  1. Lettre 42, Vernéville, 24 septembre.
  2. Lettre 73, Vernéville, 22 octobre.
  3. Lettre 81, Vernéville, 28 octobre.