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importance qu’il ne faut pas laisser déprécier : à Spicheren comme à Vionville, nous avons combattu contre des forces deux ou trois fois supérieures, tandis que, jusque-là, les rôles étaient renversés. La victoire de Vionville est, dans son exécution, comme dans ses conséquences, un triomphe pour nos armes…[1]

Pendant les deux mois que dure le blocus de Metz, chaque jour Kretschman adresse à sa femme ses impressions. Il traite les sujets les plus variés ; tantôt il relate les opérations militaires, vaines tentatives de sortie qui marquent les derniers sursauts de l’agonie de l’armée du Rhin ; tantôt, en de pittoresques tableaux, il dépeint l’investissement de jour en jour plus étroit, les troupes allemandes se consumant dans l’ennui et dans l’inaction, dans l’attente de la reddition sans cesse reculée. En d’autres pages, Kretschman raconte son installation plus que sommaire pour un officier d’état-major, sa vie en commun avec ses camarades au quartier général du IIIe corps, son existence journalière peu active et sans gloire au bivouac de Vernéville, tandis que d’autres troupes allemandes, non immobilisées devant Metz celles-là, moissonnent de nouveaux lauriers. Des commentaires souvent durs reflètent l’impression du moment. À l’adresse des Français, se multiplient, les termes injurieux.

La nature semble s’être complue à rendre plus atroces les conditions du drame. À des chaleurs excessives succède le mauvais temps ; des pluies torrentielles transforment les camps en bourbiers. Tandis que l’armée du Rhin, fidèle aux habitudes rapportées d’Algérie, meurt de faim au bivouac sous la petite tente et est décimée par les maladies, les troupes allemandes d’investissement, cantonnées dans les villages, ne souffrent guère moins des intempéries. L’humeur des chefs s’en ressent. Kretschman lui-même, qui souvent reproche aux Français des actes de sauvagerie et des excès de toute nature, se laisse aller à des accès d’indignation peu conformes à ses sentiments humanitaires :

La population des bords de la Meuse commence à devenir bien encombrante. Il est absolument impossible de sortir seul à cheval : partout les gens vous accueillent à coups de fusil. Hélas ! cela provo-

  1. Lettre 15, Jouaville, 25 août.