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presque à la veille de se mettre en route, il accompagna Louise chez Silveira, où elle avait recommencé à poser.

Dans l’atelier, la jeune lumière se jouait sur les étoffes précieuses, jetées en un désordre savant. Toussard, grand décorateur lui-même, se plaisait à cette mise en scène riche, chatoyante, adroite, et dont mieux que personne il démêlait l’art et l’artifice.

Derrière la foule des portraits dressés sur les chevalets montait le haut châssis du plafond commandé par le comte Lévi. L’esquisse était terminée : Venise recevait le tribut des nations. La composition en était heureuse, les figures habilement groupées, et déjà l’on devinait par quelles fanfares de couleurs l’artiste exalterait la gloire de la cité ducale.

Ayant agrandi son croquis, Silveira exécutait maintenant d’après Louise l’étude peinte qu’il reporterait ensuite sur la toile. Elle posait très haut, en plein jour, afin que la tête plafonnât, vue d’en dessous.

Silveira traitait Toussard avec une politesse défiante et empressée, lui disant qu’il estimait et redoutait à la fois sa très sûre critique.

— Que pensez-vous — dit-il — de cette pochade d’après mademoiselle Kérouall ? J’ai étudié d’abord la ligne et le caractère ; je voudrais maintenant trouver le ton, cette lueur nacrée qui fait d’elle la propre fille de Véronèse, comme sortie de son pinceau.

Toussard adressa quelques compliments judicieux, et Silveira, d’un air de mystère, alla chercher une autre toile, où, dans une esquisse déjà « poussée », la jeune fille était vue presque de face, souriante et surprenante de vie. C’était sans nul doute ce qu’il avait jamais fait de plus libre, de plus sincère, de plus séduisant. Toussard en fut étonné et ravi et ne le cacha point. Ce qui surtout le frappait, c’est que l’artiste avait su découvrir une Louise tout autre et qui ne se montrait guère ; une Louise presque insoupçonnée, d’un attrait plus troublant, et si différente de celle qui apparaissait orgueilleuse et lointaine sur un trône parmi les nuages…

M. Toussard s’embarqua pour l’Amérique. À ce moment, comme l’époque des envois au Salon approchait, Silveira demanda à la jeune fille de multiplier les séances. Elle vint chez lui plusieurs fois de suite et posa longtemps. Il travaillait tantôt