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— Venez au jardin, — dit Lenoël ; — nous rentrerons ensuite boire une tasse de thé.

L’allée de platanes, longeant l’habitation, menait à une terrasse d’où le regard plongeait sur le pays. Deux statuettes rustiques et moussues en occupaient les angles. Un grand apaisement montait de ces campagnes inertes, et leurs nuances mourantes avaient une infinie douceur. Ils s’arrêtèrent ; des feuilles d’or pleuvaient sur eux, lentement les couvraient comme si la nature sournoisement eût voulu les envelopper, les mêler au sommeil répandu sur les choses.

— Passons à la loge : nous y trouverons, sans doute, Annette.

Ils ouvrirent : une petite fille toute blonde et fine, assise près de la fenêtre, tenait de ses mains menues une broderie et tirait son aiguille d’un tel soin et d’un si grand zèle que sa figure enfantine en prenait une gravité touchante. À côté d’elle, un petit chat était posé sur son derrière.

— Annette, c’est le docteur Lenoël ! — fit vivement madame Sorbier, qui préparait le thé.

Annette sauta de sa chaise, cachant son ouvrage : une surprise qu’elle lui destinait, des pantoufles. Et, rougissante, elle vint le saluer.

— Voilà huit jours, — dit madame Sorbier, — que cette petite demoiselle s’applique à écrire à monsieur. Mais aucune des lettres qu’elle avait commencées ne lui a paru assez belle. Du reste, les voici.

Et elle présenta une demi-douzaine de projets qui tous débutaient par ces mots : « Mon cher Bienfaiteur ». Des accidents divers et d’inégale importance avaient successivement interrompu ces lettres.

— Il y a de grands écrivains — dit Lenoël — dont les œuvres connurent non moins de tâtonnements… Mais je suis touché, Annette, que tu penses à moi. Ne te tourmente pas. Mets seulement : « Je suis contente. » Pouvoir signer son nom n’est déjà pas une petite chose. Beaucoup de rois de France en eussent été incapables.

Au salon, un feu clair illuminait les boiseries grises ; le thé était servi sur un guéridon.

— J’éprouve je ne sais quoi de singulier — fit Louise, —