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Quoique l’élégante comédienne ne se donnât que trente-deux ans, le Vapereau lui accordait un peu plus, mais on n’a pas toujours sous la main ce livre indiscret. Elle était mince et fine, — « trop maigre », — disaient ses ennemies, d’allure assez noble, avec de très beaux yeux, d’épais cheveux sombres, le nez aquilin et la bouche hautaine. Dans le répertoire, elle montrait des qualités de style et de diction qui, dans les rôles modernes, tournaient parfois à la sécheresse. Elle passait pour avoir de l’esprit, de la culture, des goûts délicats. Elle était bibliophile et avait exposé, dans la Section du livre, à l’Exposition Universelle une collection de petits almanachs anciens qui furent remarqués et admirés.

Elle entra lentement dans les salons, faisant onduler les plis de sa robe de velours que garnissaient de riches fourrures, et, levant sa face-à-main ornée d’un chiffre de diamants, elle promena un regard circulaire. Puis, ayant découvert celle que cherchait son courroux, elle laissa tomber sur elle des yeux que le dédain semblait clore à demi pour que mieux en jaillit l’impertinence. C’était joué en perfection. Alors, désignant Louise :

— Quel est le coiffeur — dit-elle. — qui veut lancer cette ridicule coiffure chinoise ? Ces coques de cheveux sont bonnes pour bals publics.

Elle examina quelques chapeaux, montra de la mauvaise humeur et disparut, telle une déesse.

Louise avait supporté cette attaque avec courage. Mais les choses ne devaient pas s’arrêter là.

Madame Cointel ne fut pas discrète. Elle espérait réduire et reprendre son amant en l’intimidant. Comme une mèche longuement déroulée, la nouvelle se propagea, glissa de salon en boudoir, causant çà et là de petites explosions. Et bientôt elle fut avérée, officielle. On s’abordait en se disant :

— Vous savez, Lenoël, notre Lenoël, est avec une petite fille de modes… Quelle horreur, quelle pitié !… Une rien du tout, que sa tante avait vendue à un spéculateur, mort ensuite dans de mauvaises affaires.

Par-dessus l’objet de leur réprobation, de leur dégoût, le monde des théâtres et la belle société se tendaient la main, acceptant chacun sa part de l’outrage.