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quefois le secrétaire du comte, « William Smith, Esquire », qui se chargeait des commandes. Ce secrétaire, d’aspect singulier, car il avait l’air d’un Anglais qui serait torero, était né à Gibraltar et gardait le caractère fortement contrasté de sa double origine. Il était assez populaire au magasin, et, chaque année, vers Noël, il envoyait un fût de vin de Porto, que plusieurs de ces demoiselles appréciaient fort…

Avant dîner, Louise s’en alla chez Éliane. La sachant confiante et pleine d’illusions, elle lui portait une affection un peu anxieuse.

Éliane habitait, boulevard de Clichy, une de ces maisons neuves, bâties pour peintres, dans le vacarme de cette voie où, parmi les omnibus et les tramways et les camions lourdement chargés, s’avancent, chaque matin, solennels et mornes, les convois se rendant au cimetière du Nord. L’appartement se composait d’une chambre et d’une petite cuisine, qui se plaçaient comme elles pouvaient derrière le développement majestueux de l’atelier. Avant son mariage, Poncelet n’occupait qu’une seule pièce, dans laquelle des paravents élevaient de provisoires et fragiles cloisons. Mais la famille Simoneau avait exigé qu’il complétât son installation et avait offert les meubles de la chambre à coucher. Ils étaient laqués blanc, et réalisaient le rêve de luxe que pouvaient concevoir des épiciers de Neuilly.

En temps ordinaire, cette chambre, qui fleurait la petite bourgeoisie rangée et soigneuse, formait une disparate comique avec l’atelier qui s’ornait de décorations provenant de l’Orient des magasins de nouveautés, — portières de Karamanie, rideaux en perles de verre, masques japonais et plumes de paon.

À ces arrangements du genre « artiste » se joignait le propre génie de Poncelet, qui se révélait çà et là un peu fade et bucolique. Il aimait les rusticités, accrochait aux murs des trophées d’arrosoirs, de râteaux et autres objets de jardinage, suspendait au plafond des corbeilles de jonc tressé, garnies de fleurs artificielles.

Mais, quand Louise sonna à la porte de ce logis, tout était dans un désordre où le genre artiste et le genre bourgeois mêlaient confusément leurs deux âmes.

Dès le palier, des voix et des pas révélaient l’agitation et,