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Madame Block accueillit Louise avec une bonne grâce émue, et, à la manière dont elle lui serra la main, dans un silence auquel ses magnifiques yeux noirs prêtaient leur éloquence, la jeune fille ne douta pas qu’elle ne sût tout.

Félicité avait-elle cédé à ce plaisir si féminin de se confier ? Y avait-elle été incitée par le prestige et l’ascendant d’une personne qu’elle estimait sûre et de bon conseil ? Ou bien la pensée ingénieuse lui était-elle venue qu’une confidente est presque une complice, ou tout au moins une alliée, et que madame Block serait un appui précieux au jour où sa nièce subirait l’assaut simultané des salons et des coulisses, sans doute ligués contre elle ? D’ailleurs Louise sentit avec certitude que ce ne serait jamais par là que s’ébruiterait son secret : madame Block était comme ces villes d’Orient d’où échappent des colombes et des parfums, mais dont les hautes murailles restent closes et muettes.

Les clientes étaient rares en ce début de saison, retenues par la chasse dans leurs châteaux, et la mode restait indécise encore ; on tâtait le vent : il viendrait on ne savait d’où, d’un caprice de grande dame, ou, ce qui peut paraître plus singulier et plus piquant, d’une beauté dont il s’agirait d’atténuer, de dissimuler le défaut… C’est ainsi que Joséphine fit adopter l’usage des mouchoirs brodés et garnis de dentelle, dont elle cachait ses dents imparfaites.

Faute de Parisiennes, il passait beaucoup d’étrangères, Russes et Américaines, qui, avant d’aller hiverner sur la Côte d’Azur, choisissaient à Paris leurs toilettes. Et pour cette clientèle on créait des modèles spéciaux. À l’Amérique étaient destinés les plumages somptueux, les oiseaux irisés d’étranges couleurs, — hérédité de goût remontant peut-être à ces Indiens que Christophe Colomb présentait jadis, tout empennés, aux souverains de Castille et de Léon. — Pour la Russie, c’étaient les bérets ou les toques de fourrure garnis d’aigrettes, de fleurs, ou de pierreries. La comtesse Kowieska, une grande dame polonaise, excentrique et riche à millions, en faisait faire jusqu’à douze, assortis à chacune de ses pelisses. Elle les ornait de turquoises et de perles fines et ressemblait ainsi à une princesse persane des Mille et une Nuits. Et, comme cette comtesse était plus indolente qu’une sultane, c’était quel-