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— Il n’y a qu’un malheur, ma pauvre enfant, c’est que mes discours arrivent trop tard. Je viens fermer l’écurie quand le cheval est volé. Il faudrait que le cheval eût assez de raison pour rentrer de lui-même à l’écurie.

Et, se taisant, elle fixa sur sa nièce ses beaux yeux interrogateurs et soucieux.

— Ma tante, — dit enfin Louise, — j’ignore ce qui m’attend, mais je suis prête à tout supporter. Et je comprends que, pour avoir été aimée de lui, on se résigne à pleurer tout le reste de ses jours.

Elle se tut, comme abimée au milieu de souvenirs dont la douceur l’enivrait… Tout à coup, elle dit anxieusement :

— Et monsieur Toussard, lui avez-vous parlé de moi ?

— Je lui ai tout raconté, — répondit Félicité, — et j’ai été surprise, car… tu te rappelles sa colère de jadis ?

— Qu’a-t-il dit ? — fit Louise vivement.

— Il a dit : « Cette petite me désole et me remplit d’effroi… » Il a dit aussi que le docteur Lenoël était un homme supérieur et un charmeur. Il l’a rencontré quelquefois dans des banquets.

Puis on parla du magasin :

— On compte bien t’y revoir, — dit Félicité.

Louise avait le projet d’y retourner. Elle était maintenant vendeuse, touchait des appointements qu’elle ne dédaignait pas. La plus grande partie de ce qu’elle avait passait dorénavant à soutenir sa famille. Jean Kérouall, son père, usé, fatigué avant l’âge, était devenu incapable de grands travaux ; il ne faisait plus que « de la bricole » et ne gagnait guère. Et l’on allait marier Élise, la seconde fille : Louise et Félicité s’étaient chargées de la doter.

On causa d’Éliane. Elle ne venait plus à la rue de la Paix depuis une quinzaine. Ses couches étaient proches. Durant une période de fidélité, Poncelet lui avait fait un enfant et elle se préparait à l’accueillir joyeusement, tant elle avait d’espoir ingénu, de zèle et d’ardeur à se dévouer.

Louise se promit de rendre visite à Éliane dès le lendemain.

À huit heures, on alla dîner chez M. Toussard, où quelques amis étaient conviés. Successivement arrivèrent le peintre Flandin, avec son air de gaucherie, sa timidité mêlée de grâce, M. Rogé, l’associé de la maison Rogé-Toussard, qui, gros,