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raconta qu’une tradition populaire avait inspiré à Henri Heine sa ballade mélancolique. Sur un haut rocher qu’embrase le soleil couchant, la Lorelei chante en peignant ses cheveux d’or : le pêcheur, dans son frêle canot, est pris d’un furieux désir, il ne voit pas les récifs, il lève les yeux vers elle ; et les vagues engloutissent la barque et le pêcheur…

— Ces rives sont belles, — dit Louise, — mais elles fuient comme fuient les instants qui me restent à vous garder auprès de moi. Demain nous nous quitterons.

— Ce n’est pas en se quittant — répondit Lenoël — que l’on se sépare le plus. Demain, après nous êtes dit adieu, nous serons encore tout près l’un de l’autre. Tu es entrée dans ma vie je ne sais comment, alors que je me croyais garanti contre tous les assauts. Tu y es entrée si furtivement que, sans méfiance, je ne me suis pas défendu, et maintenant je crois bien que tu la remplis toute. Le plus triste et le plus certain, c’est que je suis bien vieux auprès de ta triomphante jeunesse. Le professeur Stern, de Würzbourg, qui se trouvait là-bas, m’a dit : « C’est sans doute mademoiselle votre fille, cette ravissante personne avec laquelle je vous rencontre souvent. »

Louise l’enveloppa d’un regard plein d’extase, le trouvant plus beau et plus charmant que tous les autres, avec sa noble et fière allure, et ce visage que le temps n’avait touché que pour l’affiner encore. Et elle le lui dit.

— Et puis, ma pauvre enfant, — reprit-il, — tu ne peux deviner quel ami tu t’es donné, ni quelle vie affolante je mène ; sous quels soucis, quelles charges, je me débats. Enfin je te ferai ta place : la première. Mais quelquefois je te demanderai de l’indulgence, même de la pitié… Ah ! non, ce n’était pas ce que je rêvais pour toi, lorsque dans nos premières rencontres je m’attendrissais sur ta beauté, sur ta grâce et sur ton avenir incertain. Et si j’ai commis une faute, je jure bien qu’elle ne fut pas préméditée… Ce qui est sûr, Louise, c’est que je t’aime de tout mon cœur…

Et les châteaux, aux sommets des collines, se succédaient toujours. Quelques-uns, réparés avec un zèle trop visible, logeaient derrière leurs hautaines façades des brasseries et des auberges.

À l’arrière du bateau, une bande d’étudiants et d’étudiantes