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— Vous êtes mal chaussée pour marcher en montagne.

Et, lui prenant la taille, il lui dit de s’abandonner sans crainte.

Ils allèrent assez longtemps, elle comme soulevée, ne touchant presque plus terre ; mais soudain, contre une souche qu’il n’avait pas aperçue, il butta très légèrement. Effrayée, elle eut un petit cri, s’accrocha, lui coulant le bras autour du cou.

— Vous avez peur, — dit-il d’un accent singulier.

Et, comme irrité, et se détachant d’elle, très pâle, il s’adossa à un arbre. Elle vit qu’il avait au front des gouttes de sueur :

— Arrêtons-nous. Vous vous êtes fatigué en me soutenant.

Ils s’assirent sur la mousse, contre des troncs. Il ne lui parlait pas, et ce silence était angoissant dans le silence redoutable de la forêt. Enfin, d’une voix qui semblait lointaine, il dit :

— Il y avait une fois un vieil enchanteur du nom de Merlin. Il habitait une vaste forêt et avait laissé croître sa barbe et ses cheveux, qui étaient tout blancs, et sa sagesse l’abritait mieux encore que l’ombre épaisse des bois. Et, comme son œil perçant savait discerner les secrets de l’avenir, il ne s’émouvait pas quand le bruit et le tumulte des luttes passagères et la fureur des passions venaient retentir jusque dans sa retraite. Mais, un jour, la fée Viviane y entra, et toute la forêt se vit illuminée par l’éclat de sa beauté. Alors, c’en fut fait de la sagesse de l’enchanteur et aussi de son repos. Il ne chercha plus à lire dans l’avenir, sentit en lui le dard aigu de l’heure présente et fut ridicule… Que diriez-vous, Louise, si j’étais l’enchanteur Merlin, et vous la fée Viviane ?

Louise écoutait, troublée, émue, presque douloureusement.

Ils se remirent en route, graves tous deux. Louise n’osait plus presque s’appuyer sur lui. Le chemin devenait moins rapide, ils étaient proches du ravin.

Dans le fond, un mince ruisseau, large d’une enjambée, coulait d’ordinaire et deux petits escaliers faits de caillons aidaient à descendre et à remonter. Mais les pluies des derniers jours l’avaient tellement grossi qu’ils virent que pour le traverser ils auraient de l’eau jusqu’à mi-jambe.

Comme il fallait passer, gagner le pré au delà, Louise eut l’idée d’ôter ses souliers et ses bas.