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agent diplomatique. Son biographe a pu relever le détail de son état de maison, de ses dépenses de toilette. Elle portait très agréablement le travesti, de mode à cette époque dans la haute société anglaise, ainsi qu’en témoigne le théâtre de Shakespeare, où les femmes se costument volontiers en pages ou en cavaliers… Après la mort du roi Charles, elle rentra en Bretagne sur un navire affrété à son intention, où s’entassèrent toutes les richesses amassées au cours de sa carrière galante : bijoux, tentures, étoffes, meubles précieux, cargaisons de denrées et d’épices, venues des pays lointains, de Cathay et d’Arabie, et que l’Angleterre, grande voyageuse déjà, voyait affluer sur ses marchés. Dans son pays, où elle débarquait comme un pirate heureux, je ne sais plus très bien ce qu’elle devint… À Paris, je vous donnerai à lire ses aventures.

— Mais, docteur, — dit Louise, — elle ne me plaît pas beaucoup, mon homonyme. Elle fut avare et cupide, et sans doute n’eut-elle jamais le moindre amour pour son royal amant.

— Mon enfant, ne la jugez pas avec cette sévérité. Elle servit son roi, le roi de France, et dans ce temps-là ce n’était pas une mince affaire. Et puis, elle fit comme elle put, la vie n’est pas facile à tous.

— C’est vrai ! — dit Louise.

Autour d’eux l’air vibrait. Du jour d’été fluide et doré tombait une langueur, et le bourdonnement des insectes semblait le souffle même du paysage endormi. Une telle douceur enveloppait les choses qu’ils s’étonnèrent de voir un chat bondir d’un mur, fuir et disparaître. Et, sans presque plus parler, ils laissèrent couler ces heures claires…

— Mademoiselle Louise, il se fait tard.

Jacques Lenoël s’était levé, regardait sa montre. Louise se leva aussi, secoua autour d’elle l’essaim des songes, et ils se mirent en route.

— Nous rentrerons par la vallée, — dit-il. — La descente est un peu raide : je vous soutiendrai ; j’ai le pied solide.

Ils atteignirent l’entrée du Trautwald, et là, au lieu de suivre la route qui les avait conduits, ils prirent un sentier étroit et rapide. Louise s’appuyait au bras de Lenoël, mais les aiguilles des pins rendaient le sol glissant. Elle trébuchait et la pente l’entraînait.