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vous méprisez ce qui fait la beauté et le prix de nos jours. Vous ignorez que la terre entière est un luth qui chante et que chaque minute du temps est vibrante de poésie, et qu’il faut savoir la saisir, la vivre. Oui, docteur, la vivre ! Et ainsi vous aurez atteint la mesure de vos joies, tandis que votre ironie cruelle et aride n’est qu’un souffle, un pauvre petit souffle stérile, et qui finalement vous usera comme une mauvaise toux.

— Princesse, vous m’émerveillez ! — dit Lenoël. — D’ailleurs je ne tenterai pas de vous répondre : je suis criblé de vos flèches, qui sont d’or et de feu.

Puis, désignant Louise :

— Permettez-moi de présenter à Votre Altesse mademoiselle Louise Kérouall, une jeune malade que sa famille n’a pu accompagner.

La princesse, qui portait le nom de comtesse de Schœnfels que le prince lui avait donné en l’épousant, dit quelques mots obligeants à Louise, la complimenta sur sa toilette si élégante et si parisienne.

— Nos modistes et nos couturières, — ajouta-t-elle, — quoique pleines de zèle et de bonne volonté, cherchent en vain à réaliser ces chefs-d’œuvre de goût. Les tissus de chez vous, les modes, les coupes ont un cachet incomparable. En voyant ces robes combinées avec tant de grâce et de fantaisie, en admirant avec quel art on sait user du tulle, de la gaze, du velours, et quelles harmonies on en tire, je suis émerveillée et je me dis que c’est là peut-être où réside la vraie poésie de la France.

Louise se promit de retenir tous ces beaux discours pour les redire à Toussard, qui s’en amuserait beaucoup.

Comme on arrivait au Kurhaus, la comtesse de Schœnfels invita le docteur et sa compagne à la table à thé qui était dressée et leur offrit quelques sucreries. Des amis survinrent, et, parmi eux, le jeune officier de la promenade sous bois…

Un peu plus tard, en reconduisant Louise, Lenoël lui dit :

— La princesse est certes pour étonner, mais elle a de l’éloquence et ne manque pas d’esprit. Elle fait des vers, qu’elle signe du nom de « Sapho Rhénane », et qui ne sont pas plus mauvais que bien d’autres. Et, comme elle a gardé une sorte de cour, ayant longtemps présidé les réceptions intimes du prince, autour d’elle on vante son génie. Sa faiblesse est