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nane. Accompagnée de Rosalie, elle se plaisait à passer de longues heures dans ces bois où la lumière tamisée descendait toute verte.

Et l’apaisement se faisait en elle. Ce n’était pas encore l’oubli promis par le docteur Lenoël, mais, au milieu de ce silence et de cette solitude, les choses devenaient moins précises, moins cruelles.

Elle avait emporté quelques livres que Toussard lui avait choisis avec soin et avec goût… Et lentement, dans le temps et dans l’espace, ses souvenirs s’estompaient…

Vint le docteur Rottenheimer. Il la complimenta de sa mine superbe, de son teint frais, et exprima l’espoir qu’elle ferait une double cure, le résultat étant si excellent.

Puis il se remit à poser des questions. Il voulut savoir si la personne arrivée avec elle était sa parente ou seulement une demoiselle de compagnie, si sa famille était nombreuse, combien de frères et de sœurs, et quel âge avait monsieur son père. Ensuite il reparla du professeur Lenoël, exprimant le regret qu’il ne fût pas marié et entouré de soins domestiques.

— Moi, — ajouta-t-il, — je me suis marié à vingt-deux ans, et dans ma dix-huitième année j’étais fiancé. Ma femme est deux ans plus vieille que moi, nous avons déjà sept enfants.

Et il se tût, songeant qu’il avait bien mérité de Dieu et de son pays. En s’en allant, il annonça une nouvelle et prochaine visite.

Ce matin-là, Louise s’était dit qu’elle écrirait au docteur Lenoël, qui le lui avait si obligeamment demandé. Mais l’idée de lui adresser la lettre même la plus simple la troublait extrêmement. Qu’était-elle, pauvre petite demoiselle de modes, auprès de cet homme d’une gloire partout consacrée et d’un charme, d’un attrait dont elle avait éprouvé, elle aussi, la singulière puissance ?

Assise devant sa table, au coin de la fenêtre donnant sur les beaux parterres et le riant paysage, elle ne s’aperçut pas d’abord que deux jeunes gens, à l’allure militaire, à la moustache savamment menaçante, comme celle de leur Kaiser, se promenaient avec affectation en la lorgnant. Les remarquant enfin, elle se retira ; mais, peu d’instants après, un garçon