Page:Revue de Paris - 1908 - tome 2.djvu/561

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Comme Louise cherchait à faire entendre qu’il avait été à la fois lent et fulgurant, Félicité expliqua :

— Elle s’est évanouie en lisant un journal qui lui apprenait un malheur irréparable et que ses inquiétudes mêmes ne pouvaient lui faire pressentir… C’était le 5 mars.

Lenoël regarda successivement Louise et sa tante et n’insista pas davantage, ayant tout compris.

— Maintenant, — dit-il, — je voudrais savoir les phases d’un état qui paraît arrivé à sa période aiguë.

Félicité raconta qu’après un temps de prostration sa nièce avait semblé se calmer, oublier même ; mais, depuis trois semaines environ, elle la voyait sombre et fiévreuse, en proie à une exaltation dont elle ne l’aurait pas crue capable.

— Et enfin, — ajouta-t-elle, — il y a deux jours, ou plutôt deux nuits, je l’ai surprise sur le balcon évoquant des souvenirs que cet endroit lui rappelait.

— Ceci, — dit Lenoël, — ne vous y trompez pas, c’est la fièvre de juin. Ce mois charmant est un mois terrible. L’air, si doux, est plein de germes, de pollens, de souffles perfides, et les soirs enchanteurs charrient l’angoisse, la démence et parfois le crime. La chose est bien connue à la préfecture de police et dans les commissariats. Le mois de juin est le mois des suicides et des meurtres passionnels. Est-ce que la nature se fait alors plus insidieuse, usant comme une femme de toute la grâce qui est en elle ? est-ce que la détresse, la misère paraissent plus intolérables parmi la joie qui éclate dans l’air et sur la terre ? Il est certain qu’en ce mois, que les anciens consacraient à la jeunesse, les créatures sont secouées d’un grand spasme que toutes ne supportent pas impunément. Ne doutez pas, mesdames, que ce fut au mois de juin que le serpent tenta Ève, — dit Lenoël en souriant, — et qu’elle succomba.

À ce moment, une même pensée traversa comme un éclair leur esprit, à toutes deux, tandis qu’elles écoutaient le professeur.

« C’était le 21 juin — se disait Louise — que nous sommes allés à Versailles. »

Et Félicité, dans le lointain de ses jeunes années, revoyait un matin tout fleuri et parfumé, un matin de juin aussi…