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correspondants et des clients, et dans cette dernière ville il s’était arrêté à copier sur les portraits de Van Dyck les motifs des velours et des brocards dont s’habillaient les dames de ce temps-là. Mais maintenant il allait rentrer. Félicité, toujours prudente, s’inquiétait de la façon dont elle lui ferait connaître l’aventure de Louise, car elle avait évité de lui en parler dans ses lettres. Quoiqu’il vécût avec elle-même dans des liens qui, pour des raisons tout à son honneur, à elle, restaient jusqu’ici irréguliers, quoiqu’il fût d’esprit frondeur et d’âme libre, Toussard gardait beaucoup des préjugés de la petite bourgeoisie dont il était issu : Félicité voyait à l’avance le soubresaut dont il accueillerait les aveux qu’elle croyait devoir lui faire.

Elle alla donc l’attendre à la gare de Lyon, afin d’avoir le temps de lui parler. Toussard s’était pris pour Louise d’une amitié véritable, et, quoiqu’il n’eût guère formé à son sujet des rêves d’avenir précis, cependant en pensée il ne la mêlait jamais qu’à des visions de bonheur paisible et honnête. Aussi lorsque, les premières paroles de bienvenue échangées, et tous deux installés dans la voiture qui les emportait, Félicité lui dit avec mille précautions ce qu’il en était, il frappa du pied avec d’une telle violence que le cocher se retourna.

— J’aurais dû m’en douter ! — s’écriait Toussard furieux ; — voilà comment se conduisent les femmes livrées à elles-mêmes !… D’ailleurs, jamais vous ne me ferez croire que vous ne pouviez rien empêcher. Quand cette petite est arrivée de chez elle, il n’y a pas dix mois, à peine osait-elle parler ou lever les yeux, et maintenant on m’annonce que mademoiselle s’est mise avec un financier et que c’est la chose la plus simple et la plus naturelle du monde… Et d’abord, qu’est-ce que ce monsieur ? Vous en êtes-vous informée, seulement ?

Félicité jugea sage de ne pas interrompre Toussard et de laisser sa colère s’user contre l’irréparable. Enfin, le voyant un peu calmé, elle reprit :

— Il est vrai que Louise est douce et craintive, mais elle est insaisissable, tenace et secrète, et j’ai senti, à n’en pouvoir douter, qu’elle m’échappait entièrement. J’avais, il est vrai, la ressource de la renvoyer à ses parents, mais c’était la livrer à d’autres, à de pires aventures. Alors, mon ami, accablez-moi,