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Le surlendemain, Éliane aborda Louise très gravement :

— Écoutez, j’ai de l’amitié pour vous, je serais désolée qu’il vous arrive un grand chagrin. Je l’ai revu : il est à moitié fou, il parle de se tuer. Je lui ai promis de vous emmener jusqu’aux Tuileries. Il nous y attend. Nous ne serons que quelques instants. Venez vite.

Louise, sans mot dire, mit son chapeau et suivit.

La terrasse des Feuillants était presque déserte à cette heure matinale. Des oiseaux s’y ébattaient, cherchant du bec les miettes de pain offertes la veille par des enfants ou de vieux messieurs sensibles et désœuvrés. À côté de l’escalier, près des bronzes où Cain a représenté des bêtes féroces, Fernand Epstein se tenait, fiévreux, mordant le sable de son talon et de sa canne. Tendu, irrité, rongeant son frein, il révélait quelque chose de cette primitive violence dont le grand animalier montrait tout à côté d’expressives images. Mal habitué à patienter et à souffrir, depuis près d’un mois qu’il languissait, son amour impuissant devenait sombre, presque sauvage. Il ne sourit pas en voyant venir à lui les deux jolies filles, il salua seulement et dit d’un ton qui marquait bien plus d’irritation que de joie :

— Enfin !

Et, comme Louise et Éliane allaient descendre les marches qui conduisaient au jardin, il se plaça devant elles et, saisissant Louise par le bras, dit brusquement  :

— Venez avec moi : ma voiture attend à deux pas, cet endroit est insupportable.

Éliane s’écria que c’était impossible, qu’elles étaient parties sans prévenir et que cela ferait au magasin un beau scandale.

— Songez donc — ajouta-t-elle — à ce que penserait la tante de Louise !… Expliquez-vous en deux mots, vous saurez bien ensuite vous retrouver.

— Puisque mademoiselle ne m’accorde que deux mots, — reprit Fernand d’une voix où sifflait quelque rage, — je ne dirai que l’essentiel. Sachez que les choses ne peuvent durer ainsi plus longtemps. Si vous refusez de m’entendre (et il regarda Louise), vous serez seule cause de ce qui arrivera.

Louise, blême, tremblante, restait sans parole.

On avait descendu l’escalier, et maintenant Fernand mar-