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Au magasin, on l’aimait assez, malgré le renom qu’elle y avait vite acquis. Les clientes maintenant demandaient qu’on leur montrât la petite Bretonne que l’on disait si belle, et c’était à elle que l’on essayait les modèles présentés aux commissionnaires. Pourtant on ne lui en voulait pas trop, parce qu’elle ne semblait pas tirer d’orgueil des dons qu’on lui voyait, qu’elle montrait de la douceur, et de la bonne grâce à écouter les histoires des autres. De ces histoires, on lui en racontait beaucoup. Quoique la plupart de ses camarades la tinssent pour sage, aucune ne la supposait innocente, et, de fait, elle ne l’était pas : nulle fille de la campagne ne saurait le rester, et l’entière innocence est une fleur de serre, une culture de luxe qui ne supporte pas l’air libre. Louise sut bientôt la plupart des romans intimes, des aventures légères ou sérieuses dont ces demoiselles étaient les héroïnes. D’ailleurs, à toutes l’aventure paraissait sérieuse, puisqu’elle se proportionnait à leur mentalité et à leur don d’émotion.

La personne la plus en vue du magasin était cette Laure, qui, elle, ne disait rien, puisque tout le monde, le tout-Paris même, connaissait sa vie. Amie d’un fils d’agent de change, elle portait avec discrétion des bijoux dont le prix dépassait certainement ses appointements, cependant assez sérieux. Quoique son amant désirât lui voir quitter la maison de modes, elle s’y refusait, trouvant plus honorable de vivre, au moins en partie, de son travail, et se plaisant à fréquenter des dames de tous les mondes, qui toutes la traitaient avec considération. Et madame Block tenait à Laure, qui était une excellente vendeuse.

Une autre première, Irène, avait formé un attachement dans le haut commerce, mais, comme son ami était marié à une cliente du magasin, on ne parlait que très mystérieusement de cette liaison. Plusieurs s’étaient mises en ménage avec des commissionnaires, fournisseurs de la maison. D’autres songeaient au mariage, et l’une d’elles additionnait avec mélancolie les longs mois d’un service militaire qui retenait son fiancé au loin. Chacune suivait son rêve, mais, pour les romanesques et les sentimentales, rien ne valait les artistes. Ceux-là mettaient vraiment dans la vie d’une femme de l’imprévu, du charme, de la poésie. Et l’existence plus précaire et incertaine