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deux des associés se retirèrent, M. Rogé offrit à l’habile dessinateur d’entrer dans la maison. Une petite part d’héritage venue de son père lui permit d’y verser une commandite. Sur le balcon de la rue du Quatre-Septembre s’étala désormais, en grandes lettres d’or, la raison sociale « Rogé, Toussard et Cie ». De nombreuses médailles obtenues au cours de diverses expositions confirmèrent le succès et la renommée déjà acquises, et, à la suite de l’exposition de Vienne, Toussard recevait du ministère du Commerce la croix de la Légion d’honneur, qu’il aurait pu tenir aussi bien de celui des Beaux-Arts…

Vers sept heures et demie, Félicité et sa nièce descendirent trois étages : M. Toussard occupait l’entresol. Dès la porte de l’antichambre, qu’un jeune domestique vint ouvrir, une grande lueur les salua : on avait illuminé comme pour une fête, et cette clarté, qui troublait Louise, semblait en même temps lui faire accueil.

Julien Toussard parut. Depuis les jours où, jeune et timide, il avait déclaré sa flamme à l’aimable Félicité, plus de vingt années s’étaient écoulées. Maintenant il était chauve, avec un peu de ventre et une barbe courte et drue. Mais ses yeux brun clair, pleins de reflets joyeux, gardaient toute leur jeunesse.

Il s’avança, puis aussitôt s’arrêta, feignant l’indignation :

— Non ! — s’écria-t-il, — on prévient le monde, on ne cause pas un pareil saisissement !… Et c’est vous, madame Félicité, vous que j’appelais une dame de raison, qui montrez cette imprudence !… Mais l’avez-vous seulement regardée, votre nièce, pour l’amener dans une maison tranquille, dans un quartier paisible ? D’abord le propriétaire n’en voudra pas : il loge bourgeoisement, il n’entend pas avoir chez lui des phénomènes.

Pendant ce discours, qu’il débitait avec une gravité comique, la pauvre Louise ne savait quelle contenance prendre et se sentait prête à pleurer. La voyant si désemparée, sa tante en eut pitié :

— Allons, petite, ne te démonte pas ! Monsieur Toussard aime à plaisanter, mais, cette fois, il abuse un peu de ton innocence. Tu verras comme bientôt, toi aussi, tu te moqueras de lui… D’ailleurs, mon ami, qu’est-ce à dire ? — ajouta-t-elle,

— Louise est jolie, c’est convenu, mais vous savez bien que