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comme ceux qui sortiraient d’un immense bosquet au printemps. Il s’amusait de cette vie largement répandue, mouvante, accueillante, et de l’air de fête de cette cité, vraie porte du Midi, offrant au long de ses étalages les fruits abondants de ses riches campagnes.

En flânant à travers les rues, Jean rencontra son camarade Pierre Leghoët, de Quimper. Pierre connaissait Bordeaux : il en voulut faire les honneurs.

On fréquenta quelques cabarets, on acheta du tabac et on alla fumer « sur Tourny », parmi les beaux cafés, où le haut commerce tient ses assises. Dans le jardin public, on s’étonna de la grandeur des magnolias, aux feuilles vernissées, aux fleurs de porcelaine. Enfin l’on parcourut, effarés et silencieux, les salles du musée sonores et vides.

À la tombée du jour, Jean, resté seul, passa devant une église au porche richement sculpté. Il y entra. L’ombre emplissait déjà la nef, où flottait l’odeur de l’encens et le murmure des prières.

À l’entrée, une vieille vendait des cierges qu’elle allumait ensuite et posait sur un candélabre de fer armé de pointes. Et ces petites flammes vacillantes et brûlant l’une contre l’autre étaient, dans l’obscur vaisseau, le foyer lumineux et ardent d’où montaient les vœux et les vains désirs des hommes.

Comme il allait traverser l’église, brusquement, contre un pilier, il heurta une femme qui venait en sens opposé. Il entendit un léger cri, hâta le pas, et, ayant franchi le porche, sous le demi-jour encore épars et à la lueur des premiers quinquets, elle lui apparut petite, toute jeune et charmante. Son trouble s’en accrut : il était avec les femmes, dont il n’avait jamais fréquenté que les plus infimes, d’une timidité extrême. Il marcha d’abord un peu en arrière d’elle, puis, forçant son courage, il s’excusa très humblement.

La jeune fille était de bonne tenue, et savait qu’il ne convient pas de se laisser aborder par des hommes dans la rue. Mais celui-ci était si poli ! Et puis il portait un jersey et un béret de marin, et elle connaissait bien les marins, qui souvent venaient voir les constructions au chantier où était employé son père. Elle répondit :

— Ce n’est rien, monsieur, ne vous mettez pas en peine.