Page:Revue de Paris - 1908 - tome 2.djvu/254

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pagnes, arrosait de riches bourgades, traversait Bordeaux aux quais magnifiques, puis, suivant les rives basses du Médoc, traînait dans les vases jusqu’au bec d’Ambez où, lourde, immense, accrue de la Dordogne, elle allait devenir la Gironde…

À Port-Saint-Pierre, au bord de l’eau, une petite fille était arrêtée, coiffée d’un béret blanc d’où coulait une longue natte blonde, son petit cabas au bras, toute claire dans le grand paysage sombre. Et, le regard au loin vers les lueurs du soleil couché, immobile et perdue dans son rêve, elle semblait chercher où pouvait bien mener ce chemin, ce beau chemin d’or entr’ouvert parmi les nuages. Le jour mourait lentement ; quelques feux, comme des lumières tombées d’en haut, erraient maintenant à la surface des flots. Un homme de haute taille vint à passer. Il dit :

— C’est toi, Louison ? Il faut rentrer.

L’enfant suivit. Quelques pas, et ils s’arrêtèrent devant une maisonnette. Posée le long du chemin de halage, toute petite, elle ressemblait à un jouet fané. Elle était rose clair avec des volets gris et un balcon qui n’avait plus de couleur d’aucune sorte. Trois marches usées, posées de côté, menaient à la porte d’entrée ; sur le rebord de pierre qui courait le long de l’étroite terrasse étaient rangés des pots de terre. Flétrie et pauvrette, la demeure modeste se parait de l’éclat riant des fleurs. Des géraniums flamboyaient, des citronniers nains portaient leurs fruits lourds, des œillets à la chair précieuse, aux nuances rares, se dressaient sur leurs longues tiges. Et, le soir, la brise jetait aux passants de la route des parfums de vanille et d’orange que coupait l’odeur fine et aiguë de la feuille de verveine.

L’homme et l’enfant entrèrent dans la petite maison fleurie. Et ce fut le long de l’escalier un bruit de petits pas et de petites voix. Sur la table rustique était préparé le repas du soir, et, sous la lampe allumée, près du feu de cuisine qui flambait, entre sa femme et ses trois filles, Louise, Élise et Marie, Jean Kérouall, charpentier, mangea la soupe en famille.