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la solitaire splendeur d’une toilette de printemps évidemment conçue pour avoir de la compagnie ; un moment après, ce fut Judy Trenor flanquée de lady Skiddaw, laquelle était venue pour sa pêche annuelle en Floride et pour un coup de filet dans les parages de Wall Street.

Cette vision fugitive de son passé eut pour résultat d’aggraver chez Lily, tandis qu’elle prenait le parti de rentrer chez elle, le sentiment qu’elle éprouvait d’une existence sans but. Elle n’avait rien à faire, tout le reste du jour, ni les jours suivants, car la saison était finie pour les modes aussi bien que pour le monde, et, la semaine d’avant, madame Regina lui avait notifié qu’elle n’avait plus besoin de ses services. Madame Regina réduisait toujours son personnel le 1er mai, et miss Bart, en ces derniers temps, avait été si peu régulière, — elle avait été si souvent souffrante et avait fait si peu de besogne quand elle venait, — que, si elle n’avait pas encore été congédiée, c’était par faveur.

Lily n’avait pas discuté la justice de cette décision. Elle avait conscience d’avoir été oublieuse, gauche et lente à apprendre. Il était dur de confesser son infériorité, même en son for intérieur, mais elle avait reconnu ce fait que, pour gagner sa vie, elle ne pouvait lutter avec des habiletés professionnelles. Puisqu’elle avait été élevée pour être purement décorative, elle pouvait à peine se blâmer de n’avoir pu servir à aucune fin pratique ; mais cette découverte ruina l’illusion consolante qu’elle avait de sa capacité universelle.

Comme elle se dirigeait vers sa maison, ses pensées s’assombrirent à l’idée qu’elle n’aurait aucune raison pour se lever le lendemain matin. La volupté de rester tard au lit appartenait à une vie aisée ; elle n’avait pas sa place dans l’existence utilitaire de la pension de famille. Lily aimait à quitter sa chambre de bonne heure et à y rentrer aussi tard que possible, et elle ralentissait maintenant le pas pour différer l’approche du seuil détesté.

Mais le seuil, comme elle y arrivait, acquit un intérêt soudain par le fait qu’il était occupé — copieusement occupé — par la personne éminemment visible de M. Rosedale, qui semblait prendre plus d’ampleur par la médiocrité d’un pareil cadre.

Cette vue provoqua chez Lily un irrésistible sentiment de