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pas une présence humaine, une chambre peut ouvrir presque des bras humains, et l’être pour qui, à ces heures-là, quatre murs n’ont pas de signification plus particulière que d’autres, est alors expatrié partout.

Lily n’avait nul cœur sur qui se reposer. Ses relations avec sa tante étaient aussi superficielles que celles de locataires qui se croisent dans l’escalier. Mais, même s’il y avait eu contact plus intime entre les deux femmes, il était impossible de se figurer l’esprit de Mrs. Peniston comme pouvant offrir un refuge ou une sympathie intelligente à une misère comme celle de Lily. De même que la douleur qu’on peut raconter n’est qu’une demi-douleur, de même la pitié qui pose des questions ne guérit guère par son attouchement. Ce qu’implorait Lily, c’était l’obscurité faite par des bras qui enlacent, le silence qui n’est pas solitude, mais compassion sachant retenir son souffle.

Elle tressaillit et regarda où elle était… Gerty !… Elle passait tout près du coin où habitait Gerty. Si seulement elle pouvait y arriver avant que l’angoisse qui torturait sa poitrine éclatât sur ses lèvres !… si seulement elle pouvait sentir autour d’elle les bras de Gerty, pendant qu’elle tremblerait de ce fiévreux accès de peur qu’elle sentait la gagner !… Par la lucarne du hansom, elle cria l’adresse au cocher. Il n’était pas si tard : Gerty serait encore éveillée, peut-être… Et, même si elle ne l’était pas, le bruit de la sonnette pénétrerait tout le minuscule appartement, et elle se lèverait pour répondre à l’appel de son amie.

XIV


Gerty Farish, le lendemain de la soirée donnée par les Welligton Bry, s’était éveillée après des rêves aussi heureux que ceux de Lily. S’ils étaient moins hauts en couleur, plus en harmonie avec les demi-teintes de sa personne et de son expérience, ils étaient par là même d’autant mieux appropriés à sa vision mentale : des éclairs de joie comme ceux parmi lesquels se mouvait Lily auraient aveuglé miss Farish, accoutumée, en matière de bonheur, à la maigre lumière qui brille par les fentes des existences d’autrui.