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murant avec terreur cet avis que chaque mot, chaque geste devaient être mesurés.

— Si vous m’avez amenée ici pour m’insulter… — reprit-elle.

Trenor se mit à rire.

— Oh ! ne faisons pas de théâtre, je vous prie !… Je ne veux pas vous insulter. Mais chacun a ses sentiments… et vous avez joué trop longtemps avec les miens… Ce n’est pas moi qui ai commencé : je me suis tenu à l’écart, j’ai laissé la route libre pour les autres, jusqu’au jour où vous êtes venue me bouleverser, où vous avez entrepris de me faire tourner en bourrique… et la tâche vous a été facile… Voilà le malheur : c’était trop facile… vous avez été imprudente… vous avez cru qu’on pouvait me mettre sens dessus dessous, et me jeter ensuite au ruisseau comme une bourse vide. Mais, que diable, ce n’est pas de jeu, vous trichez… Naturellement, je vois bien, à présent, ce que vous vouliez… vous ne soupiriez pas après mes beaux yeux… mais, je vais vous dire, miss Lily, vous avez quelque chose à payer pour me l’avoir fait croire…

Il se leva, carrant ses épaules de façon agressive, et fit un pas vers elle, rougissant jusqu’au front ; mais elle tint bon, quoique tous ses nerfs la tirassent en arrière à mesure qu’il avançait.

— Payer ? — balbutia-t-elle. — Voulez-vous dire que je vous dois de l’argent ?

Il rit de plus belle :

— Oh ! je n’exige pas le paiement en espèces. Mais il y a des règles du jeu… il y a l’intérêt de l’argent… et je veux être pendu si j’ai jamais eu un regard de vous…

— Votre argent ?… Qu’ai-je à faire avec votre argent ?… Vous m’avez donné des conseils pour placer le mien… vous avez bien dû voir que je n’entendais rien aux affaires… vous m’avez dit que tout allait bien.

— Tout allait bien… tout va bien, Lily : il est à vous, cet argent, et dix fois plus encore… soit !… Je ne vous demande qu’un mot de remerciement.

Il se rapprochait de plus en plus, et sa main devenait inquiétante ; le « moi » effrayé de Lily dominait l’autre.

— Mais je vous ai remercié !… je vous ai montré que j’étais reconnaissante… Qu’avez-vous fait de plus que ce que n’im-