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qu’elle se trouva enfin sans accroc hors de la boutique, elle eut presque un vertige de soulagement. Le simple contact du petit paquet faisait frémir ses pauvres nerfs par la promesse délicieuse d’une nuit de sommeil, et, dans la réaction qui suivait cet accès de frayeur, elle sentit comme les premières fumées de l’assoupissement peser déjà sur elle.

Dans son trouble, elle se heurta presque contre un homme qui débouchait précipitamment de l’escalier du métropolitain. Il s’effaça, et elle entendit son nom prononcé dans un cri de surprise. C’était Rosedale, luisant et prospère sous sa fourrure ; mais pourquoi le voyait-elle si éloigné, comme à travers le brouillard d’une lorgnette cassée ?

Avant de pouvoir se rendre compte de ce phénomène, elle se trouva en train de lui serrer la main. Ils s’étaient séparés avec dédain, de son côté, à elle, et colère, de son côté, à lui ; mais toute trace de ces émotions avait disparu tandis qu’ils échangeaient une poignée de main, et elle n’avait que le sentiment confus qu’elle aurait voulu continuer de se raccrocher à lui.

— Quoi ? qu’est-ce qu’il y a, miss Lily ? Vous n’êtes pas bien ! — s’écria-t-il.

Et elle se força de sourire pour le rassurer :

— Je suis un peu fatiguée, ce n’est rien. Restez avec moi, un moment.

Elle soupira. C’était elle qui demandait ce service à Rosedale !

Il jeta un coup d’œil sur le coin malpropre et peu propice où ils se trouvaient, avec le fracas du chemin de fer, le cri des rails et des wagons qui résonnait hideusement à leurs oreilles.

— Nous ne pouvons pas rester ici ; mais laissez-moi vous emmener prendre une tasse de thé. Le « Longworth » est à deux pas, et il n’y aura personne à cette heure.

Une tasse de thé dans un endroit tranquille, hors du bruit et de la laideur, lui semblait, pour le moment, la seule consolation qu’elle pût supporter. En une minute, ils furent à la porte de l’hôtel qu’il avait nommé, et, un instant après, il était assis en face d’elle et le garçon avait placé le thé entre eux.

— Vous ne voulez pas commencer par une goutte d’eau-de-vie ou de whisky ? Vous avez l’air absolument rendue, miss Lily… Eh bien, prenez votre thé très fort, alors… Garçon, mettez un coussin dans le dos de madame.