Page:Revue de Paris - 1908 - tome 1.djvu/748

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Lily sourit.

— J’imagine — reprit-elle — que par une position fausse vous entendez une position en dehors de ce que nous appelons la société ; mais rappelez-vous que j’avais été bannie de ses frontières sacrées longtemps avant de rencontrer Mrs. Hatch. Autant que j’en puis juger, il n’y a qu’une très petite différence à se trouver dedans ou dehors, et je me souviens que vous m’avez dit un jour que c’était seulement ceux qui étaient dedans qui prenaient cette différence au sérieux.

Ce n’était pas sans intention qu’elle avait fait allusion ainsi à leur mémorable causerie de Bellomont, et elle attendit avec un singulier tremblement nerveux la réponse que cette allusion amènerait ; mais le résultat de l’expérience fut décevant. Selden ne se laissa pas détourner de sa ligne ; il ne fit qu’ajouter avec plus d’énergie :

— La question de se trouver dedans ou dehors est, comme vous le dites, de peu d’importance et n’a rien à faire avec le cas présent, sinon que le désir de Mrs. Hatch d’être dedans peut vous placer dans une position que je qualifie de fausse.

Malgré son ton de voix modéré, chaque parole qu’il prononçait avait pour effet de fortifier la résistance de Lily. Les appréhensions mêmes qu’il éveillait en elle l’endurcissaient contre lui : elle n’avait cessé de guetter un accent de sympathie personnelle, quelque signe qui témoignât qu’elle avait reconquis son pouvoir sur lui ; et cette attitude de calme impartialité, l’absence de toute réponse à son appel, changea son orgueil blessé, en aveugle ressentiment contre une telle intervention. La conviction que c’était Gerty qui l’avait envoyé, et que, dans quelques difficultés qu’il l’eût imaginée, il ne serait jamais venu spontanément à son aide, affermit sa résolution de ne pas l’admettre plus avant dans sa confidence. Si douteuse qu’elle sentît sa situation, elle persisterait dans les ténèbres plutôt que de devoir la lumière à Selden.

— Je ne sais pas — fit-elle, quand il cessa de parler — pourquoi vous m’imaginez dans la position que vous décrivez ; mais, puisque vous m’avez toujours dit que le seul objet d’une éducation comme la mienne est d’enseigner à une jeune fille à obtenir ce qu’il lui faut, pourquoi ne pas supposer que c’est justement ce que je suis en train de faire ?