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s’aperçut bientôt qu’il n’était pas la plus importante recrue de M. Stancy. C’était sur le jeune Bertie Van Osburgh, le grêle petit héritier des millions Van Osburgh, que se concentrait l’attention des familiers de Mrs. Hatch. Bertie, qui sortait à peine du collège, s’était levé à l’horizon depuis l’éclipse de Lily ; et elle vit maintenant avec surprise quelle splendeur il jetait sur l’existence crépusculaire de Mrs. Hatch. Voilà donc ce que recherchaient les jeunes gens, une fois affranchis de l’officielle routine mondaine ; voilà donc le genre « d’engagement antérieur » qui leur faisait si fréquemment désappointer les espérances d’hôtesses anxieuses. Lily avait la sensation bizarre de se trouver derrière la tapisserie mondaine, du côté où l’on noue les fils, où pendent les bouts. Pendant quelque temps elle s’amusa de ce spectacle et de la part qu’elle y prenait : la situation avait une aisance et une absence de convention décidément reposantes après l’expérience qu’elle avait faite de l’ironie des conventions. Mais ces éclairs d’amusement n’étaient que de brèves réactions contre le long dégoût de ses journées. Comparée avec le vaste vide doré de l’existence de Mrs. Hatch, la vie des anciens amis de Lily semblait toute pleine d’activités bien réglées. Même la plus irresponsable d’entre les jolies femmes de sa connaissance avait ses obligations héréditaires, ses charités organisées, sa part dans le travail de la grande machine civique ; et toutes se tenaient entre elles par la solidarité de ces fonctions traditionnelles. La position de miss Bart eût été simplifiée si elle avait eu des devoirs spécifiques à remplir ; mais le service vague de Mrs. Hatch n’était pas sans avoir ses perplexités.

Ce n’était pas la maîtresse qui les créait, ces perplexités. Mrs. Hatch avait montré dès l’abord un désir presque touchant d’obtenir l’approbation de Lily. Loin d’affirmer la supériorité de l’argent, ses beaux yeux semblaient plaider l’inexpérience : elle voulait faire ce qui était « comme il faut », apprendre à être « femme du monde ». La difficulté était de trouver un point de contact entre son idéal et celui de Lily.

Mrs. Hatch nageait dans une brume d’enthousiasmes indéterminés, d’aspirations empruntées au théâtre, à la presse, aux journaux de modes, et à un monde voyant de sports qui échappait encore plus complètement à la vue de sa compagne. Trier