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que l’ordonnance de ce groupe n’était plus aux mains de M. Stancy. Comme il arrive souvent, l’élève avait dépassé le maître, et Mrs. Hatch était avertie déjà qu’il y avait des hauteurs d’élégance et des profondeurs de luxe où le monde de l’Emporium était loin d’atteindre. Cette découverte lui fit désirer aussitôt une direction supérieure, une assistance féminine et adroite, qui donnerait le ton juste à sa correspondance, de même qu’à ses chapeaux et à ses menus. C’était, en résumé, comme ordonnatrice d’une vie mondaine à peine éclose que miss Bart était requise ; ses devoirs ostensibles de secrétaire étaient restreints par le fait que Mrs. Hatch ne connaissait encore presque personne à qui écrire.

Les détails quotidiens de l’existence de Mrs. Hatch étaient aussi étrangers à Lily que sa teneur générale. Les habitudes de la dame étaient marquées par une indolence tout orientale et un désordre qui étaient particulièrement pénibles à sa compagne. Mrs. Hatch et ses amis semblaient voguer ensemble hors des limites du temps et de l’espace. Il n’y avait jamais d’heure fixe ; il n’existait pas d’obligations établies : le jour et la nuit coulaient l’un dans l’autre, et c’était un gâchis, un pêle-mêle d’engagements retardés, où l’on avait l’impression de déjeuner à l’heure du thé, tandis que le dîner se confondait souvent avec le bruyant souper qui après le théâtre prolongeait les veilles de Mrs. Hatch jusqu’à l’aube.

À travers ce fouillis d’activités futiles, circulait une foule bizarre de parasites : manucures, professeurs de beauté, coiffeurs, professeurs de bridge, de français, de « culture physique », — figures qu’il était parfois difficile de distinguer, par leurs apparences ou par ses relations avec elles, des visiteurs qui constituaient la société avouée de Mrs. Hatch… Mais ce qui surprit le plus Lily, ce fut de retrouver, dans ce dernier groupe, plusieurs de ses connaissances. Elle avait supposé, et non sans soulagement, qu’elle sortait, pour le moment, tout à fait de son propre milieu ; mais quoi ! M. Stancy, qui, par un côté de son existence agitée, touchait aux confins du monde de Mrs. Fisher, avait entraîné plusieurs de ses plus brillants ornements dans le cercle de l’Emporium. Un des premiers étonnements de Lily fut de trouver Ned Silverton parmi les habitués du salon de Mrs. Hatch ; mais elle