Page:Revue de Paris - 1908 - tome 1.djvu/728

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Pour vivre ?… en sont-elles là ? — demanda miss Bart avec une pointe d’irritation.

Elle n’était pas venue pour écouter les infortunes des autres.

— J’ai bien peur qu’il ne leur reste plus rien : les dettes de Ned ont tout englouti. Elles avaient tant d’espoir, vous savez, après sa rupture avec Carry Fisher ! Elles s’imaginaient que Bertha Dorset aurait une si bonne influence, parce qu’elle n’aime pas les cartes !… Et, ma foi, elle a tenu des discours magnifiques à cette pauvre miss Jane : elle considérait Ned comme son frère cadet, et elle voulait l’emmener sur son yacht pour lui donner une chance de renoncer au jeu et aux courses, et de reprendre ses travaux littéraires.

Miss Farish s’arrêta. Son soupir exprimait la perplexité de la visiteuse qui venait de partir :

— Mais ce n’est pas tout, il y a pis. Il paraît que Ned s’est brouillé avec les Dorset ; ou plutôt Bertha ne veut plus le voir, et il en est si malheureux qu’il s’est remis à jouer et qu’il circule avec toute sorte de gens bizarres. Et ma cousine Grace Van Osburgh l’accuse d’avoir une très mauvaise influence sur Bertie, qui a quitté Harvard, le printemps dernier, et est sans cesse avec Ned depuis. Elle a envoyé chercher miss Jane, et lui a fait une scène terrible ; et Jack Stepney et Herbert Melson, qui étaient là, ont raconté à miss Jane que Bertie menaçait d’épouser une vilaine femme à qui Ned l’avait présenté, et qu’il n’y avait rien à faire avec lui, car maintenant il est en âge d’avoir sa fortune. Vous pouvez vous imaginer dans quel état était miss Jane : elle est venue tout de suite à moi et semblait penser que, si je lui trouvais quelque chose à faire, elle pourrait gagner de quoi payer les dettes de Ned et l’envoyer au loin… J’ai peur qu’elle n’ait aucune idée du temps qu’il lui faudrait pour payer une seule de ses soirées de bridge !… Et il était terriblement endetté à son retour de la croisière… Je ne peux pas comprendre comment il aura pu dépenser encore plus d’argent sous l’influence de Bertie que sous celle de Carry ; et vous ?

Lily répondit à cette question avec un geste d’impatience :

— Ma chère Gerty, je comprends toujours comment les gens peuvent dépenser beaucoup plus… jamais, comment ils peuvent dépenser moins !