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— Je suis désolée pour vous… Je ne demanderais pas mieux que de vous aider… Mais vous devez avoir d’autres amis, d’autres conseillers…

— Je n’ai jamais eu d’ami tel que vous, — répondit-il avec simplicité. — Et de plus… ne voyez-vous pas ?… vous êtes la seule personne… (Sa voix s’abaissa, ne fut plus qu’un murmure…) la seule personne qui sache.

De nouveau elle rougit ; de nouveau son cœur battit à coups précipités devant ce qu’elle sentait venir.

Il leva sur elle des yeux suppliants :

— Vous voyez, n’est-ce pas ? vous comprenez ?… Je suis désespéré… Je suis au bout de ma chaîne, et je veux devenir libre, et vous pouvez me libérer. Je sais que vous le pouvez… Vous ne voulez pas me tenir, pieds et poings liés, en enfer, n’est-ce pas ? Vous ne pouvez pas tirer de moi une vengeance pareille. Vous avez toujours été bonne… vos yeux sont remplis de bonté, en ce moment… Vous dites que vous me plaignez : eh bien, il dépend de vous de me le prouver… Et Dieu sait qu’il n’y a rien pour vous retenir !… Vous comprenez, bien entendu, qu’il n’y aurait pas un soupçon de publicité… pas un mot ni une syllabe pour vous mêler à cette affaire… On n’en viendrait jamais là, vous savez… Tout ce dont j’ai besoin, c’est de pouvoir dire d’une façon positive : « Je sais ceci… et cela… et cela encore… » Et la lutte cesserait, la route serait libre, et toute cette abominable affaire balayée, disparue en une seconde.

Il parlait en haletant, comme un coureur fatigué, avec des pauses d’épuisement entre les phrases ; et, durant ces arrêts, elle découvrait, comme par les éclaircies d’un brouillard, de vastes perspectives dorées de paix et de sécurité. Car il n’y avait pas à se tromper sur l’intention précise qui se dressait derrière ce vague appel : elle aurait pu remplir les vides, même sans les insinuations de Mrs. Fisher. C’était bien là un homme qui se tournait vers elle, dans l’extrémité de son isolement et de son humiliation : si elle allait à lui dans un pareil moment, il lui appartiendrait de toute la force de sa confiance abusée. Elle avait entre les mains le pouvoir de l’y réduire, un pouvoir dont il ne pouvait pas même soupçonner toute l’étendue. Revanche et réhabilitation, elle pouvait les obtenir d’un seul coup : il y