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nous irons prendre le thé, et nos femmes de chambre nous rejoindront à la gare.

Oui, cela valait beaucoup mieux qu’un dimanche brûlant en ville : Lily ne pouvait plus en douter tandis que, se reposant à l’ombre de la véranda feuillue, elle regardait du côté de la mer à travers une pelouse pittoresquement tachetée de dames en robes de dentelle et d’hommes en costumes de tennis.

L’immense maison des Van Alstyne et toutes ses dépendances étaient bondées de gens invités par les Gormer à venir là du samedi au lundi, et qui, à cette heure, par cette radieuse matinée de dimanche, se dispersaient dans le parc, en quête des distractions variées que l’endroit pouvait offrir, — distractions allant des terrains de tennis aux galeries de tir, du bridge et du whisky, pour l’intérieur, aux automobiles et canots à vapeur, pour le dehors. Lily avait la sensation bizarre d’avoir été ramassée dans la foule aussi négligemment qu’un voyageur est cueilli par un train express. La blonde et joyeuse Mrs. Gormer aurait pu figurer le chef de train, assignant avec calme leur place à tous les envahisseurs, tandis que Carry Fisher représentait l’employé qui case leur valise, distribue les tickets pour le wagon-restaurant et annonce l’approche des stations. Le train cependant avait à peine ralenti son allure ; la vie continuait de siffler avec le vacarme assourdissant d’une locomotive, tandis qu’un voyageur au moins avait trouvé un salutaire refuge contre le tumulte de ses propres pensées.

Le milieu des Gormer représentait un faubourg mondain que Lily avait toujours dédaigneusement évité ; mais, maintenant qu’elle s’y trouvait, elle n’y voyait qu’une copie, style flamboyant, de son propre monde, une caricature se rapprochant de l’original comme au théâtre une pièce mondaine se rapproche des mœurs de salon. Les gens qui l’entouraient faisaient les mêmes choses que les Trenor, les Van Osburgh et les Dorset : la différence résidait dans une centaine de nuances d’aspect et de manières, depuis la coupe du gilet de ces messieurs jusqu’à l’inflexion de la voix de ces dames. Tout était d’une clé plus élevée, et il y avait plus de chaque chose : plus de bruit, plus de couleurs, plus de champagne,