Page:Revue de Paris - 1908 - tome 1.djvu/483

Cette page a été validée par deux contributeurs.
482
LA REVUE DE PARIS

fratricide, elle fera la part du peuple et celle des agents provocateurs ; elle dira comment les uns préméditèrent cet attentat et arrêtèrent ces massacres ; comment ils entreprirent de souiller le front vierge de la Révolution de Février, comprenant que, pure, elle leur échappait et les méprisait sans les craindre, que, violée, elle leur appartiendrait du droit du déshonneur. Elle racontera comment le peuple fut victime d’une presse de l’insurrection ; comment, après avoir été détourné du travail et mis face à face avec le désespoir, on vint lui dire : tu souffres, voici un fusil ! tu as faim, venge-toi ! comment, au premier coup de feu, il recula un instant en voyant cette République qu’il avait faite, profanée par ses mains ; comment le désespoir de cette apparition dégénéra en rage folle.

Mais ce qu’il faudra qu’elle dise, à la honte de ces agents provocateurs, c’est qu’alors que la lutte était devenue impossible, quand l’Assemblée nationale ouvrait ses bras à ses frères égarés, ils voulurent ensevelir leurs victimes sous les ruines de leurs projets. De barricade en barricade, ils allèrent semer l’épouvante et crier qu’il n’y aurait pour personne de pitié ni de merci. Le jour où elle retrouvera leurs noms, elles les attachera au pilori des peuples trompés, et l’indignation publique aura le droit de les marquer à l’épaule.

Si nous faisions l’histoire des faits et des personnes, non celle des choses, nous venions quel fut le rôle de l’Assemblée, quel fut celui des représentants. Ce jour-là, l’écharpe tricolore des députés fut le signe pacifique de la réconciliation et du pardon qu’au péril de leur vie ils étendirent entre les combattants. Bixio, Dornès et d’autres non moins illustres, partagèrent avec Affre les dangers de cette glorieuse mission ; et plus d’un, qui ne s’est jamais fait un titre d’un devoir accompli, sans attendre le mandat de l’Assemblée s’improvisa l’apôtre courageux de la fraternité et se jeta dans la mêlée pour abaisser les glaives et relever les fusils. Ils sont assez récompensés[1] !

  1. En écrivant ces lignes, Waldeck-Rousseau avait le droit de penser à son propre père, représentant du peuple en 48, qui, avec un groupe de collègues, courut dès les premiers coups de fusil aux barricades tenter d’arrêter le massacre. Pendant les quatre jours que dura l’effroyable bataille des rues, il se jeta en médiateur dans la mêlée au péril de sa vie, sans armes, ceint de son écharpe, cherchant à arrêter l’effusion du sang, prêchant à tous, insurgés et assaillants, la réconciliation et la fraternité.