Page:Revue de Paris - 1908 - tome 1.djvu/473

Cette page a été validée par deux contributeurs.
472
LA REVUE DE PARIS

souveraineté nationale, issue du suffrage universel, un Conseil des Dix, un Comité du Saint public, qui fit table rase de tous les droits, de tous les devoirs, de toutes les conquêtes de l’humanité pendant dix-huit siècles, pour exterminer plus sûrement les abus. Nouvel Hérode, elle poursuivait la destruction du mal par la destruction de tout ce qui existait. Sur les ruines de la justice et de la propriété, elle édifierait un ordre nouveau dont les premières assises n’étaient pas encore arrêtées et dont les premiers projets étaient l’incohérence et le rêve pousse jusqu’au cauchemar.

Saisir le pouvoir, telle était sa volonté. Qu’édifierait-elle, comment remplacerait-elle ce qu’elle abattrait ? Elle l’entrevoyait à peine dans les songes confus de cette malsaine ivresse, où le monde entier semblait tourner autour de ces réformateurs sans qu’ils pussent y rencontrer la stabilité ni l’équilibre. Le socialisme, dont nous avons dit plus haut ce qu’il était à cette époque, lui fournissait une arme terrible. Cette doctrine, qui était peu à peu devenue l’espoir indéfini de tous ceux que rebutaient les tristesses du présent, entretenait dans les esprits cette fièvre de la richesse et du bien-être qui exalte les intelligences et énerve les cœurs. Le parti réactionnaire l’avait pris sous sa protection et s’était confondu avec lui, pour se mêler plus intimement à toutes les passions et à toutes les espérances.

Elle le montrait au peuple comme le programme du bonheur futur, au gouvernement comme la condamnation de ses actes. « Comment laisserait-on la toute-puissance et l’initiative de toutes les réformes à un pouvoir indifférent qui n’était que le premier ministre des riches et non le protecteur des pauvres ? Qu’avait-il fait pour ceux-ci ? que n’avait-il pas fait pour ceux-là ? Le peuple ne se lasserait-il pas de souffrir ? Se soumettrait-il toujours à une tutelle désastreuse et déshonorante ? … »

Elle plaçait ainsi incessamment le peuple en face de ses souffrances. Elle s’était trouvée un jour en face d’une plaie terrible : elle avait eu le triste courage de dire : Je l’exploiterai ! En même temps elle acculait le gouvernement entre une impossibilité et un crime : changer la face du monde en huit jours, ou, se débarrassant des entraves gênantes de la légalité,