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CE QUI TUE LES RÉPUBLIQUES.

attestent les expéditions désastreuses. Les finances s’épuisent, et le budget grossi par de longues années d’un despotisme onéreux offre bientôt le tableau d’une économie financière où tout est fictif, et qui repose sur le crédit alors qu’il n’y a plus de confiance. Enfin quand tout manque à la fois, le pays, endormi dans la corruption, qui se réveille dans la misère sent le rouge monter à son front et porte la main sur un trône vermoulu, et ce pouvoir si imposant s’évanouit au premier effort, semblable aux cadavres que l’immobilité seule a conservés, et qui tombent en poussière sous le doigt qui les touche.

Justice est faite. Mais il est trop tard : sous ce trône, il y a maintenant un abîme.


Nous n’avons jamais renversé un gouvernement qu’il n’eût successivement tari toutes les sources de la prospérité du pays et consommé la banqueroute. C’est seulement quand le sol rendu stérile est jonché de ruines, que nous nous tournons du côté de la Liberté dont nous avons voilé la statue.

C’est ainsi que dans les campagnes on appelle le médecin alors qu’il n’y a plus un malade, mais un mourant, et qu’il reste à peine un souffle dans le corps inanimé.

Au nouveau gouvernement qui trouve tous les ressorts du pouvoir usés, les finances en désarroi, la dette partout, le crédit nulle part, les esprits exaspérés, la misère grandissant d’heure en heure, on va demander d’acquitter les dettes de la tyrannie qui l’a précédé et de guérir les maux qu’elle a créés ; on va lui demander de faire la prospérité avec la détresse, la confiance avec la panique, la santé avec la souffrance ; on va le sommer de payer en un jour l’arriéré de désirs inassouvis, d’aspirations méconnues, d’ambitions justes ou injustes, que de longues années d’oppression ont amassé dans tous les cœurs et dans tous les esprits. Mais ce n’est pas tout.

Le pouvoir déchu a légué à ce gouvernement un ennemi cent fois plus terrible que la disette et que la ruine : l’intelligence du pays affaiblie par l’inaction, la force morale, détruite par la suppression de l’activité, un peuple généreux et fort par les passions, mais faible d’intelligence politique, et énervé par une complète centralisation dans les mains du pouvoir de toute l’initiative et de toute la responsabilité.