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d’éveiller en nous, par la violence et l’originalité des sensations exprimées, l’illusion d’un être neuf vis-à-vis d’un monde vierge. L’innocence de ses impressions est telle que les choses paraissent avoir surgi sur son passage, toutes fraîches, et pour lui seul. Mais la tristesse constante et théorique de Loti ne l’agite pas, ne trouble pas sa tranquillité ; il reste uniforme et placide, tandis qu’à chaque vers madame de Noailles succombe sous la fatigue de sa création. Et puis, à Loti, il faut le déplacement, le voyage, c’est-à-dire un aliment réel, un support concret. Madame de Noailles n’a besoin de rien, que d’elle-même.



Il y a probablement quelque artifice dans la construction que je viens d’esquisser, et son pire défaut est d’être logique. Je crois pourtant que ce procédé nous aura permis d’établir comme une table thématique assez complète de l’œuvre que nous cherchions à caractériser. À cet égard, je n’aperçois pas de différence sensible entre les trois volumes de vers qu’a successivement publiés madame de Noailles. Sur chacun d’eux indifféremment on pourrait reprendre et contrôler les résultats de l’analyse que j’ai tentée ; pour chacun d’eux, les diverses pièces qu’il comprend pourraient se disposer dans le même ordre autour des mêmes idées centrales. Prenez le plus ancien, le Cœur Innombrable ; tout ce que madame de Noailles dira jamais d’essentiel y est dit déjà. Dès ce premier volume, dès les premières pièces de ce premier volume, sont posés les thèmes principaux dont le travail prodigieux d’une imagination toujours contenue dans ses limites ne fera plus que varier l’éternelle répétition. Le poème liminaire Offrande à la Nature, d’ailleurs fort beau, contient à lui seul presque toute la substance lyrique qui animera, gonflera l’œuvre entière jusqu’à son plein épanouissement. Tout au plus, à la fin du volume, découvrira-t-on quelques pièces, inspirées peut-être par l’occasion et les circonstances, et qui, jusqu’à ce jour, semblent encore isolées, pièces sociales, ou plutôt humanitaires, dont les titres seuls, Fraternité, la Justice, les Malheureux, dénotent assez précisément l’esprit. Ces velléités un peu