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l’œuvre poétique de madame de noailles

d’évocation. L’émotion poétique que le vers traduit participant à la fois du rêve et de la pensée, ils ont prétendu tirer du vers une sorte de langage intermédiaire entre la musique et la parole. S’ils ont voulu briser et recomposer selon des combinaisons plus variées les formes traditionnelles de la métrique, c’est à l’imitation de la musique, et pour donner au rapport des mots la même complexité obéissante qu’à l’accord des sons. Il ne semble pas qu’aucune de ces ambitions ait jamais tenté madame de Noailles. Non seulement elle est restée fidèle aux rythmes classiques — et l’on ne pourrait guère citer que deux ou trois occasions où elle s’en soit écartée complètement, — mais on n’aperçoit pas chez elle d’effort pour tirer, de ces rythmes même, toute la variété, toute la liberté de combinaisons sonores qu’ils peuvent comporter. Les mots sont choisis et associés d’après leur sens exact et leur force expressive, non pas d’après ces rapports secrets, dont la raison ne rend pas compte, et qui touchent ce qu’il y a de plus flottant, de plus indistinct dans notre sensibilité. Elle n’obéit même pas à cet instinct d’harmonie qui sait, par l’égalité des mots et l’enchaînement des strophes, assurer, du premier vers au dernier, l’unité sonore d’un poème. Elle ne cherche à capter l’oreille ni par la puissance évocatrice de certains accords verbaux, ni par une sorte de continuité mélodique. Dans un temps où il semble que la musique vienne forcer ou pénétrer l’une après l’autre toutes les formes de l’art, madame de Noailles n’est pas musicienne.

Je la vois plus distante encore des Parnassiens que des Symbolistes, bien qu’ici les premières apparences puissent tromper. Le rapport, ou la confusion, si l’on préfère, que les Symbolistes ont établi entre la poésie et la musique, les Parnassiens l’ont cherché, voici quarante ans, entre la poésie et les arts plastiques. Ils ont conçu la poésie comme un art descriptif et décoratif, et, si cette fin n’est pas particulière à la poésie, il est vrai que le vers y répond mieux que la prose par sa solidité, sa fixité et son éclat. Le vers est une matière durable, et le don propre du poète parut d’en raffiner la pureté et d’en pousser le travail. Madame de Noailles n’est pas l’élève ou l’émule de cette école poétique. Assurément son œuvre abonde en paysages, en descriptions pittoresques, son style poétique