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D’autre part, il est peut-être bien tôt pour tenter, sur l’œuvre de madame de Noailles, cet essai de classement et d’explication. Madame de Noailles était fort jeune quand elle publia son premier volume de vers, le Cœur innombrable, et ce volume n’est guère vieux de plus de six ans. Le développement lyrique, qui n’est pas ordinairement si précoce, est sujet, dans la suite de la vie, à d’amples variations dont il est malaisé de présumer le sens. Des Feuilles d’Automne aux Contemplations la distance est grande, et cet exemple suffit à prouver combien il serait téméraire de vouloir définir, avant trente ans, le génie ou même la manière d’un poète. Pourtant, au premier regard jeté sur l’œuvre de madame de Noailles, on reconnaît un tempérament d’une spontanéité immédiate et expansive, qui semble se dépenser tout entier dans le moindre vers, mais pour se reformer aussitôt, parfaitement identique à lui-même. Il est difficile de supposer que ce tempérament doive se modifier dans son essence, s’échapper un jour dans quelque direction inattendue. Le talent de madame de Noailles s’est agrandi déjà ; tout porte à prévoir qu’il peut s’agrandir encore, mais par une répétition éternellement enrichie d’elle-même. Elle possède une faculté de variation qu’on peut croire indéfinie, mais sur un nombre limité de thèmes. Jamais le jaillissement lyrique ne fut plus abondant ni plus naturel, mais rarement on put observer tant de constance dans la nature et dans la proportion des éléments qui le composent. Il n’est donc pas impossible de s’arrêter dès à présent, de considérer ce phénomène poétique comme suffisamment formé, suffisamment défini pour qu’on puisse au moins le décrire, en dessiner la figure, rechercher ce qui constitue sa particularité.



La première raison, la plus apparente, de l’originalité de madame de Noailles, c’est qu’on ne lui voit nulle liaison, nul contact, avec les deux écoles qui, depuis le déclin du romantisme, se sont partagé la poésie française. Verlaine, et les Symbolistes après lui, ont considéré la poésie non comme un procédé d’expression directe, mais comme un art de suggestion ou