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prompt acquiescement, effraya Lily : derrière, elle sentait la force accumulée d’une patience capable de soumettre la volonté la plus robuste. Mais du moins ils s’étaient quittés en bons termes, et il était parti sans avoir rencontré Selden, — Selden dont l’absence prolongée la frappait d’une alarme nouvelle… Rosedale était resté plus d’une heure, et elle comprenait qu’il était trop tard maintenant pour compter sur Selden. Il écrirait pour expliquer son absence, naturellement ; elle recevrait un mot de lui par le dernier courrier… Mais sa confession, à elle, se trouvait ainsi retardée ; et ce délai pesait lourdement à son esprit fourbu.

Le poids en augmenta encore après que le dernier courrier ne lui eut point apporté de lettre : elle dut remonter dans sa chambre pour y passer une nuit solitaire, une nuit d’insomnie aussi affreuse que celle que son imagination torturée avait dépeinte à Gerty. Elle n’avait jamais appris à vivre avec ses propres pensées, et d’être ainsi confrontée avec elles, dans de telles heures de misère lucide, lui faisait paraître aisément supportable la confuse infortune de sa veillée précédente…

Le jour dispersa la troupe des fantômes, et persuada Lily qu’elle recevrait des nouvelles de Selden avant midi ; mais la journée s’écoula sans lettre ni visite. Lily resta à la maison, déjeunant et dînant seule avec sa tante, qui se plaignait d’avoir des palpitations de cœur : la conversation se traîna glaciale sur des sujets généraux. Mrs. Peniston alla se coucher de bonne heure, et, quand elle se fut retirée, Lily s’assit et écrivit un mot à Selden. Elle était sur le point de sonner pour faire porter son message, quand ses yeux tombèrent sur un paragraphe du journal du soir qui était là, près de son coude :


M. Lawrence Selden était parmi les passagers qui se sont embarqués, cette après-midi, pour la Havane et les Indes Occidentales, sur le paquebot les Antilles.


Elle laissa retomber le journal et demeura immobile, les yeux fixés sur l’entrefilet. Elle comprenait maintenant qu’il ne viendrait jamais, — qu’il était parti parce qu’il avait peur de venir.

Elle se leva, et, traversant la pièce, elle se regarda longtemps dans le miroir brillamment éclairé au-dessus de la cheminée. Les rides de son visage ressortaient terriblement : elle se voyait