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DARWIN

fleur. On comprend ainsi qu’une fleur et un insecte puissent lentement se modifier et s’adapter mutuellement de la manière la plus parfaite, par la conservation continue de tous les individus présentant de légères déviations de structure avantageuses pour l’un et l’autre.

Éclairé par cette notion nouvelle, Darwin a fait des observations minutieuses qui sont pleines d’intérêt. L’exemple du trèfle et des bourdons est classique aujourd’hui ; je le cite néanmoins en entier, car il prouve mieux que tout autre combien peuvent avoir d’influence sur certains phénomènes naturels des faits qui en paraissent absolument indépendants au premier abord : « Après de nombreuses expériences, j’ai reconnu, dit Darwin, que le bourdon est presque indispensable pour la fécondation de la pensée (viola tricolor), parce que les autres insectes du genre abeille ne visitent pas cette fleur. J’ai reconnu également que les visites des abeilles sont nécessaires pour la fécondation de quelques espèces de trèfle ; vingt pieds de trèfle de Hollande (trifollum repens), par exemple, ont produit deux mille deux cent quatre-vingt-dix graines, alors que vingt autres pieds, dont les abeilles ne pouvaient pas approcher, n’en ont pas produit une seule. Le bourdon seul visite le trèfle rouge, parce que les autres abeilles ne peuvent pas en atteindre le nectar. On affirme que les phalènes peuvent féconder cette plante ; mais j’en doute fort, parce que le poids de leur corps n’est pas suffisant pour déprimer les pétales alaires. Nous pouvons donc considérer comme très probable que, si le genre bourdon venait à disparaître ou devenait très rare en Angleterre, la pensée et le trèfle rouge deviendraient aussi très rares ou disparaîtraient complètement. Le nombre des bourdons, dépend, dans une grande mesure, du nombre des mulots qui détruisent leurs nids et leurs rayons de miel ; or, le colonel Newmann, qui a longtemps étudié les habitudes du bourdon, croit que plus des deux tiers de ces insectes sont ainsi détruits chaque année en Angleterre. D’autre part, chacun sait que le nombre des mulots dépend de celui des chats, et le colonel Newmann ajoute que les nids de bourdon sont plus abondants près des villages et des petites villes, ce qu’il attribue au plus grand nombre de chats qui détruisent les mulots. Il est donc parfaitement possible que la présence