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DARWIN

à un avantage, si léger qu’il fût, dans des luttes mortelles réitérées entre les mâles, suffirait à l’œuvre de la sélection sexuelle… Les femelles ont, par une sélection prolongée des mâles les plus attrayants, ajouté à leur beauté et à leurs autres qualités attrayantes. » Il est clair que la sélection sexuelle n’est qu’un cas particulier du processus plus général de la sélection naturelle ; mais ici, la femelle opère le choix qui doit réaliser le perfectionnement de l’espèce.

Wallace n’accepte pas cette interprétation de Darwin : au lieu de faire intervenir la sélection sexuelle qui aurait rendu les mâles plus beaux, il fait intervenir simplement la sélection naturelle qui rend les femelles plus ternes, et les protège ainsi contre le danger d’attirer l’attention, surtout pendant l’incubation. Un argument que peut invoquer Wallace, c’est que les femelles d’oiseaux à nids découverts sont de couleur terne ou au moins de la couleur du milieu, tandis que les femelles d’oiseaux à nids couverts ont le plumage aussi brillant que les mâles. Il y a intérêt à accepter les deux explications antagonistes de Darwin et de Wallace, dont chacune peut être précieuse dans des cas différents.

Quant à la beauté des fleurs, il ne semble pas qu’elle soit explicable par la sélection sexuelle : les plus belles fleurs sont hermaphrodites, c’est-à-dire qu’elles contiennent à la fois des organes mâles et femelles ; on ne peut donc songer à trouver à la beauté de la fleur une utilité sexuelle analogue à celle de la beauté du mâle chez les animaux. Mais alors le parfum et l’élégance des plantes de nos jardins ne seraient qu’un véritable luxe, agréable à ceux qui regardent les fleurs, sans servir de rien aux plantes elles-mêmes ! Darwin ne pouvait accepter une telle conclusion ; il a cherché où était l’erreur, il a trouvé, et cette découverte biologique, des plus importantes, qui fait pénétrer le plus avant dans la connaissance des phénomènes sexuels : c’est qu’il n’y a pas d’êtres hermaphrodites. Ceux qui paraissent l’être parce qu’ils ont à la fois des glandes des deux sexes ne peuvent pas se féconder eux-mêmes ; il faut que la fécondation soit croisée[1]. Or,

  1. On ne considère pas aujourd’hui cette nécessité comme absolue ; il y a peut-être des cas où des êtres se montrent vraiment hermaphrodites, mais, cependant, il est indéniable que même pour ces êtres la fécondation croisée est avantageuse.