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LA REVUE DE PARIS

dérer comme représentant dans la nature un luxe inutile, les caractères esthétiques, la beauté des fleurs et la beauté des animaux, et dans cette étude encore il a fait une ample moisson de faits extrêmement intéressants.

Chacun se souvient de la fable le Cerf et la Vigne. Fier de sa ramure comme d’un ornement admirable, le cerf en est bien empêtré quand il s’agit de se soustraire par la fuite à la poursuite de ses ennemis. Voilà donc un caractère, la présence des bois sur le front du mâle, qui semble non seulement inutile, mais encore nuisible à son vaniteux possesseur. Il en est de même pour les couleurs brillantes des oiseaux mâles : ces couleurs doivent les désigner de plus loin à l’attaque des oiseaux de proie, tandis que les femelles, plus ternes, sont naturellement dissimulées au milieu des branches. D’autres oiseaux mâles, au lieu de briller par leur plumage, sont d’admirables chanteurs, mais il semble que leur chant mélodieux doive attirer les éperviers et les chouettes. La sélection naturelle serait donc en défaut, puisque des caractères manifestement nuisibles se conservent et se transmettent de génération en génération ! — Darwin s’est trouvé là aux prises avec une difficulté évidente. Il n’a pas songé à nier le danger que présentait pour les mâles l’existence de ces caractères esthétiques, mais il s’est dit que ce danger devait être compensé, et au delà, par une utilité quelconque ; il a trouvé cette utilité dans le goût des femelles pour tout ce qui est beau ; les mâles les plus brillants par leur couleur ou par leur voix sont en effet les plus exposés à être mangés par les rapaces, mais ils ont aussi plus de chance de se reproduire et de transmettre leur beauté à leurs descendants mâles, parce que les femelles se laissent plus volontiers féconder par eux. Darwin a appelé sélection sexuelle le processus par lequel les possesseurs des heureux dons de la force et de la beauté ont évincé ou vaincu leurs concurrents moins bien doués. Quand les mâles ont acquis leur structure actuelle, non parce qu’ils étaient plus aptes à survivre dans la lutte pour l’existence, mais parce qu’ils avaient gagné sur les autres mâles un avantage qu’ils ont transmis à leurs descendants mâles, la sélection sexuelle est entrée en jeu. Puis, fidèle à son système du hasard, il constate qu’« un léger degré de variabilité menant