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DARWIN

terre dût modifier profondément les conditions de la vie végétale dans l’espace enclos ? Or, voici ce que raconte Darwin.

« Auprès de Farnham, dans le comté de Surrey, se trouvent d’immenses landes, plantées çà et là, sur le sommet des collines, de quelques groupes de vieux pins d’Écosse ; pendant ces dix dernières années, on a enclos quelques-unes de ces landes, et aujourd’hui il pousse de toutes parts une quantité de jeunes pins, venus naturellement, et si rapprochés les uns des autres que tous ne peuvent pas vivre. Quand j’ai appris que ces jeunes arbres n’avaient été ni semés ni plantés, j’ai été tellement surpris que je me suis rendu à plusieurs endroits d’où je pouvais embrasser du regard des centaines d’hectares de landes qui n’avaient pas été enclos ; or, il m’a été impossible de rien découvrir, sauf les vieux arbres. En examinant avec plus de soin l’état de la lande, j’ai découvert une multitude de petits plants qui avaient été rongés par les bestiaux. Sur l’espace d’un seul mètre carré, à une distance de quelques centaines de mètres de l’un des vieux arbres, j’ai compté trente-deux jeunes plants ; l’un d’eux avait vingt-six anneaux ; il avait donc essayé, pendant bien des années, d’élever sa tête au-dessus des tiges de la bruyère, et n’y avait pas réussi. Rien d’étonnant donc à ce que le sol se couvrît de jeunes pins vigoureux dès que les clôtures ont été établies. Et, cependant, ces landes sont si stériles et si étendues, que personne n’aurait pu s’imaginer que les bestiaux aient pu y trouver des aliments. Nous voyons ici que l’existence du pin d’Écosse dépend absolument de la présence ou de l’absence des bestiaux ; dans quelques parties du monde, l’existence du bétail dépend de certains insectes… »

Je choisis cet exemple entre mille pour montrer que le génie de Darwin a enseigné aux naturalistes à observer, à ne pas négliger des faits d’apparence secondaire qui peuvent être très importants, et ce n’est pas là le moindre service qu’ait rendu à la science l’œuvre du grand biologiste anglais.

Toujours préoccupé de démontrer qu’il n’y a pas d’exception au principe de la sélection naturelle, Darwin a été fatalement amené à s’occuper des caractères que l’on peut consi-