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sans cesse : étant donné qu’il se produit constamment plus d’individus qu’il n’en faut, les meilleurs seuls se conservent et se reproduisent ; ces meilleurs d’entre les individus d’une génération transmettent héréditairement à leurs rejetons les qualités par lesquelles ils l’emportaient sur leurs contemporains, de sorte que l’ensemble de la seconde génération est meilleur que l’ensemble de la première ; dans cette seconde génération, les meilleurs seuls persistent, et ainsi de suite, si bien qu’il se produit un perfectionnement progressif de l’espèce.

Les meilleurs, nous l’avons vu, ce sont les êtres les plus aptes à vivre dans les conditions considérées et, par conséquent, le résultat de la sélection naturelle n’est pas, en réalité, un perfectionnement de l’espèce, mais une adaptation de plus en plus étroite aux conditions locales. Les cochons noirs l’emportent sur les cochons blancs dans la Virginie, mais il n’en résulte pas qu’ils sont plus parfaits. Tout au contraire, dans certains cas, nous constatons que l’adaptation plus étroite à des conditions données d’existence entraîne une dégradation de l’espèce. Certains insectes, chez lesquels le développement des ailes est variable suivant les individus, sont représentés dans les petites îles de l’océan par des variétés tout à fait aptères. Pourquoi ? C’est qu’à chaque génération, au début de l’introduction de l’espèce dans l’île, il y avait un certain nombre d’individus ailés et d’autres sans ailes ; ceux qui volaient avaient des chances d’être jetés à la mer par le vent et couraient, par conséquent, plus de risques que les individus aptères ; progressivement, la sélection par le vent, s’exerçant sans cesse au profit de ces derniers, a fini par faire disparaître complètement les premiers. Dirons-nous qu’il y a eu, dans ce cas, perfectionnement de l’espèce ? Évidemment non, car, partout ailleurs que dans une petite île, c’est un avantage pour les insectes d’avoir des ailes. Nous dirons donc qu’il y a eu seulement adaptation progressive aux conditions spéciales de milieu.

Le résultat fatal de la sélection naturelle, c’est d’adapter les êtres aux conditions réalisées dans les localités où ils se trouvent. Darwin l’a remarqué, et il en a conclu qu’il n’y a pas lieu de s’étonner de l’harmonie de la nature, de l’appropria-