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DARWIN

maintenant ce que donne la sélection naturelle quand on l’applique à des êtres variables, étudions ce qui résulte de l’introduction, dans l’histoire des êtres racontée en langage darwinien, d’un élément nouveau, la variation.

Les êtres varient, l’observation la plus élémentaire le prouve, et les partisans les plus fanatiques de la fixité des espèces ne peuvent le nier : un fils ressemble à son père, mais est différent de son père. Mais quelle est l’étendue possible des variations ?

Darwin ne se demande pas quelle est la cause des variations ; il les constate et s’en sert, sans chercher d’où elles viennent. Il a livré la variation à l’ensemble des causes obscures et mal définies que nous appelons le hasard, parce qu’il jugea que la sélection naturelle suffisait partout et toujours à corriger le hasard et à en tirer des coordinations merveilleuses. Voici comment il raisonne.

Dans une espèce donnée, animale ou végétale, il naît beaucoup plus d’individus qu’il n’en peut vivre. Wallace a fait, pour les moins bons pondeurs des oiseaux de nos bois, le calcul, amusant dans sa forme paradoxale, qu’il meurt fatalement, chaque année, deux fois plus de pinsons ou de fauvettes qu’il n’y en a : en d’autres termes, s’il y a, par exemple, mille pinsons dans un canton, ce nombre ne reste stationnaire qu’à la condition qu’il meure deux mille pinsons par an dans ce canton. Pour les harengs, la proportion est infiniment plus forte, en raison du nombre formidable des œufs que produit une seule femelle : il faut qu’il meure chaque année une quantité innombrable de harengs pour que les harengs n’arrivent pas bientôt à encombrer tous les océans.

Hamlet prétend qu’être honnête homme, c’est être trié sur une centaine ; la constatation de Wallace prouve qu’être un pinson vivant, c’est être trié sur trois pinsons au moins, qu’être un hareng vivant, c’est être trié sur un millier de harengs. Ce qui opère ce tri, c’est l’ensemble des causes que Darwin synthétise dans la sélection naturelle. Et c’est pourquoi les espèces animales ou végétales se perfectionnent