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LA REVUE DE PARIS

une époque où la vie existait déjà, où les animaux étaient déjà créés. Après que les mouvements du sol eurent morcelé ce continent, d’où vient donc que les diverses espèces se soient localisées dans les diverses îles, au lieu d’être mélangées dans chaque île comme elles l’étaient sur le continent primitif ?

Darwin démontre d’ailleurs que les habitants des îles n’ont pas nécessairement tous existé dans ces îles dès leur séparation d’avec les continents : ils ont aussi pu y être introduits depuis, par un hasard. Il étudie les moyens de transport à travers les océans (courants, bois flottés, oiseaux voyageurs, etc.), et cette partie anecdotique de son livre est à la fois instructive et amusante. Mais si certaines espèces n’existent pas dans certaines îles, pourquoi ont-elles disparu précisément de l’endroit où elles existaient primitivement ? Et pourquoi des espèces voisines, mais différentes, existent-elles dans des îles voisines ?

L’observation de ces faits et de beaucoup d’autres analogues amena Darwin à penser que l’espèce est variable ; que des êtres primitivement semblables se sont trouvés isolés les uns des autres dans des îles, soit par suite du morcellement d’un continent, soit à cause du transport fortuit de quelques individus par les courants marins, les bois flottés ou les oiseaux voyageurs ; que, depuis leur isolement, leur histoire a été différente dans ces différentes îles ; que les différences se sont, par suite, accumulées au cours des générations successives, chez leurs descendants, au point que les représentants actuels d’une même espèce primitive dans des îles différentes sont aujourd’hui d’espèces différentes mais voisines. Et, dans cette hypothèse, l’histoire narrative dont je parlais tout à l’heure présente un intérêt capital, puisqu’elle ne nous expose plus seulement les vicissitudes des êtres, mais bien des transformations spécifiques qui résultent de ces vicissitudes. C’est pour raconter cette histoire que la langue darwinienne va être infiniment précieuse.

Si l’on est débarrassé de toute idée préconçue, si l’on raisonne en pleine liberté d’esprit, on trouve que l’interprétation transformiste des faits de distribution géographique est infiniment simple et infiniment vraisemblable. Voyons donc