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DARWIN

sous l’empire d’un parti pris plus puissant que les considérations d’ordre scientifique, on ne conçoit même plus que le transformisme soit discutable. C’est ce qui est arrivé à Darwin lorsqu’il fit son voyage sur le Beagle. Mais il n’est pas indispensable de faire un si grand voyage pour se rendre compte des arguments que le transformisme peut tirer de la distribution géographique des êtres ; il suffit d’étudier successivement deux régions séparées par une barrière naturelle importante. Sans doute ces barrières naturelles sont devenues moins infranchissables depuis que l’homme civilisé, en multipliant les moyens de communication, en facilitant les relations entre les divers peuples, a mis aux prises des espèces animales séparées depuis longtemps ; c’est ainsi que nos bateaux ont porté des rats dans des îles isolées, et ont introduit en Australie les lapins qui menacent son avenir. L’uniformité croît rapidement avec le développement des relations humaines, et déjà beaucoup de faits très saillants sont masqués ; il faut se rabattre sur des observations plus précises et plus délicates.

Darwin a accumulé un très grand nombre d’observations minutieuses de géographie zoologique et botanique. Il faut lire ces chapitres de son ouvrage, que leur caractère anecdotique rend d’une lecture très agréable : tout lecteur deviendra transformiste malgré soi rien que pour les avoir lus.

Je ne puis entrer ici dans le détail des faits analysés dans l’Origine des espèces ; mais je voudrais donner une idée de leur nature et de la manière dont on peut en tirer un argument pour le transformisme.

Les îles éloignées les unes des autres au sein des grands océans ont des habitants différents, au moins en ce qui concerne les espèces incapables de traverser de grandes étendues de mer. Les partisans de la fixité des espèces ne sont pas embarrassés par cette constatation ; ils déclarent que ces espèces ont été créées là où elles sont et telles qu’elles sont ; elles sont restées au lieu où elles furent mises par des créations locales distinctes. Or, la géologie nous apprend que les îles n’ont pas toujours été ce qu’elles sont aujourd’hui : il y a eu des remaniements fréquents de la distribution des terres et des eaux ; tel groupe d’îles a été autrefois un continent, à