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LA REVUE DE PARIS

primé sa pensée d’une manière analogue à celle que je viens d’employer et bien qu’il eût peut-être désapprouvé cette traduction libre, mais fidèle, de son système. Ainsi, 1o à un moment donné les choses sont comme elles sont et non autrement ; 2o entre deux moments différents il y a des variations ; 3o toute variation est due à des causes naturelles. De ces trois points, les deux premiers, qui sont immédiatement évidents, constituent le principe de la sélection naturelle ; le troisième, le seul qui ait besoin de démonstration, Darwin l’effleure à peine.

Il serait surprenant qu’à l’aide de vérités évidentes comme les deux premières, vérités indépendantes des propriétés des corps, on pût expliquer quelque chose ; aussi n’explique-t-on rien, et même, sous la forme que je leur ai intentionnellement donnée, ces vérités ne seraient d’aucune utilité ; au contraire, sous la forme que leur a donnée Darwin, elles permettent un langage clair et fécond, mais elles ne sont qu’une forme de langage, et d’une forme de langage on peut tirer des facilités de raisonnement, jamais des faits ou des preuves. La sélection naturelle appliquée à la biologie, c’est, comme les mathématiques appliquées à la physique, une langue infiniment précieuse ; or, si les mathématiciens n’avaient eu, comme point de départ, les lois physiques élémentaires, ils n’auraient jamais fait que d’élégant bavardage, et l’œuvre des Fresnel ou des Maxwell eût été stérile. La langue créée par Darwin est la langue adéquate à l’étude du transformisme, mais elle est indépendante du transformisme, et elle eût pu s’appliquer de la même manière à la narration des faits biologiques si la variation des espèces avait été restreinte dans des limites étroites. Quand Flourens, voulant lutter contre le transformisme, s’est moqué de la sélection naturelle, il a agi comme un physicien qui, pour saper la théorie des ondulations, aurait attaqué le calcul différentiel.

Il ne suffit pas d’affirmer que le principe de Darwin est une vérité évidente ; il faut encore en fournir la preuve, d’autant plus que, dans la forme que je lui ai donnée, on aura peine à reconnaître ce principe célèbre. C’est que l’illustre évolutionniste l’a formulé d’une manière moins géné-